Appel pour la défense du droit à l’anonymat sur Internet

Blogueur ou visiteur, je vous invite à soutenir cet appel ici, sur Wikio, en opposition au projet Masson (voir ci-dessous).


Nous tenons à affirmer notre attachement à la liberté d’expression sur Internet, qui a permis à tout un chacun de participer au formidable développement de l’information et des débats sur le réseau.


Une proposition de loi , déposée par le Sénateur Masson , prévoit de remettre en cause le droit à l’anonymat des blogueurs.

Il s'agirait de leur imposer la publication de leur nom, de leur adresse mail, et semble-t-il aussi de leur adresse et de leur numéro de téléphone.

Nous considérons qu’une telle loi porterait atteinte à la liberté d’expression sur Internet.

Les blogueurs qui choisissent l’anonymat le font pour des raisons liées à leur vie professionnelle ou personnelle. Sans cet anonymat beaucoup arrêteraient de bloguer.

Nous appelons les députés et sénateurs à refuser cette proposition de loi, qui contrairement à ce que prétendent ses auteurs, n’apporterait rien en ce qui concerne la protection contre la diffamation, déjà efficacement assurée par la loi actuelle. Rappelons que la loi LCEN fait obligation aux hébergeurs de blogs de supprimer immédiatement les publications litigieuses sur simple demande, et de communiquer le cas échéant à la justice les coordonnées de l’auteur.


Il n’est donc nul besoin d’une loi supplémentaire qui aurait pour seul effet de brider la liberté d’expression des internautes.


Pierre Chappaz, Pdg Wikio
Jean-Baptiste Clot, Pdg Canalblog
Olivier Creiche, PDG d'EZ Embassy (distributeur du service TypePad)
Jean-François Julliard, secrétaire-général de Reporters sans frontières
Frédéric Montagnon, Pdg Over-blog
Tristan Nitot, Président, Mozilla Europe
Philippe Pinault, Pdg Blogspirit
Jeremie Zimmermann et Philippe Aigrain, La Quadrature du Net


(Pour soutenir cet appel, vous pouvez laisser un commentaire signé de votre nom ou de votre pseudo, et indiquer l’adresse de votre blog si vous êtes blogueur. N’hésitez pas à relayer l’initiative sur votre blog, plus nous serons nombreux, plus nous aurons de chances d’être entendus !)

S'entraîner : sujet BTS blanc Générations

BTS BLANC – CGO


Première partie : Synthèse
Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des documents suivants :
• Document 1 : Gérard Vincent, Le Peuple lycéen, Gallimard,1974.
• Document 2 : François de singly, «L'invention privée de nouvelles façons de "vivre ensemble" », Le Monde (20 août 1998)
• Document 3 : MONTAIGNE, Essais, Livre premier, chap. XXVIII, 1580-1595
• Document 4 : Saturne dévorant un de ses enfants, tableau de Francisco Goya (1746-1828), peint entre 1819 et 1823

Deuxième partie : écriture personnelle
Vous répondrez d’une façon argumentée et ordonnée à la question suivante, en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles :
Comment vous situez-vous par rapport aux générations antérieures ?




• Document 1 : Gérard Vincent, Le Peuple lycéen, Gallimard,1974.
La méfiance - inavouée - des pères à l'égard de l'impatience des fils n'est pas historiquement nouvelle. Ce qui est plus nouveau, c'est sans doute le sentiment de culpabilité qui imprègne les mentalités adultes. Non seulement les parents commencent - enfin - à se sentir responsables de la naissance de leurs enfants (alors que dans les générations précédentes on exigeait que les enfants fussent « reconnaissants » à l'égard de leurs géniteurs) mais aussi ils tendent à se percevoir comme coupables de Katyn, d'Auschwitz, d'Hiroshima, des guerres menées par la France en Indochine et en Algérie et même des bombardements américains au Viêt-Nam et de la misère du Tiers-Monde. Ceux qui avaient vingt ans en 1940 ont rencontré des choix embarrassants : Pétain ou de Gaulle (le plus souvent d'ailleurPétain, « puis » de Gaulle), la Libération (révolution ou restauration ?), la décolonisation, mai 1968, etc., c'est-à-dire tous ces grands événements nationaux qui, depuis trente ans, ont trouvé les Français divisés. Combien d'adultes ressentent la honte d'avoir fait de « mauvais » choix et reconstruisent - à l'intention de leurs enfants notamment - une sorte d'autobiographie imaginaire où leur attentisme de 1940-1944 se transforme en épopée de la Résistance ? Combien d'adultes balancent entre une éducation « permissive » à laquelle les convie un freudisme sommaire qui fait partie des idées du moment (mais alors, ne seront-ils pas considérés comme des parents « démissionnaires » ?) et une éducation traditionnelle et autoritaire (mais alors, ne seront-ils pas perçus comme des parents « répressifs », comme des « pères-flics » ?). Le procès du père s'instruit quotidiennnement à la table familiale : le discours de cet homme, bien nanti mais « de gauche », prône le bouleversement de la société tout entière mais se mue en une incitation à être « raisonnable », en une dénonciation de toutes les utopies spontanéistes lorsque son fils veut descendre dans la rue pour « changer la vie » dans le sens précisément préconisé par le père. Le propos de ce chef de famille catholique et cossu est contesté par sa fille qui lui reproche de parler dix fois plus souvent de l'argent que de Dieu.
La sévérité avec laquelle les adultes - ou certains d'entre eux - se perçoivent reste très en deçà du réquisitoire que les jeunes prononcent contre eux. Puisque enseignement et éducation restent sous-tendus par une conception volontariste de l'existence (le monde est malléable à la volonté humaine et l'homme apte à contrôler - sinon à susciter - l'événement), il en découle que le fils tient le père pour responsable des horreurs de la guerre et des insuffisances de la paix. Certes le père peut répondre que lui-même n'a pas demandé à naître, qu'il a été jeté à vingt ou trente ans dans la Seconde Guerre mondiale, qu'il a hérité lui aussi de l'impuissance de la génération précédente, qu'il n'est pas sûr, après tout, que l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre ; que le fils en le dénonçant comme responsable sera jugé comme tel par sa propre descendance. Vain discours puisque la société de consommation a accouché de cet enfant naturel : une jeunesse non culpabilisée qui fait allègrement son procès car, dépourvue du sens de son propre péché, elle a - au plus haut degré - le sens du péché de l'autre (de l'adulte) et celui du péché des nantis (des pays riches responsables de la misère du Tiers-Monde).

• Document 2 : François de singly, «L'invention privée de nouvelles façons de "vivre ensemble" », Le Monde (20 août 1998)

À écouter ou lire certains discours de gauche comme de droite, il y aurait crise du lien social dans notre société. Ce serait une évidence. Et il y aurait un responsable : « C'est la faute aux parents. » Parce que les parents ne sont pas assez autoritaires, pas assez sévères avec leurs enfants, la société irait mal. Alors, on menace de suspendre ou de mettre sous tutelle les prestations sociales des parents de délinquants, et surtout on rappelle à longueur de commentaire que le retour à l'ordre dans la famille, garant du bon fonctionnement dans la société, demande une plus grande place accordée au père. La part trop grande donnée aux mères aurait contribué à un tel état de confusion familiale.
Ainsi, on remonte une des pièces idéologiques du XIXe siècle. En effet, les opposants à la Révolution française estimaient qu'en tuant le roi on avait tué le père, et que la société était sur le déclin. Ils réclament alors que l'autorité du père soit rétablie, espérant que, derrière le retour du père, puisse avoir lieu le retour du roi et le retour de Dieu. Dans une telle optique, vivre ensemble demande avant tout obéissance et soumission. La famille, «cellule de base de la société», doit d'abord mettre en œuvre en son sein de telles relations : un père, avec l'autorité, une mère, soumise, et les enfants, eux aussi soumis pour toute leur vie. Le groupe familial l'emporte sur les individus qui le composent.
Aujourd'hui, ceux et celles qui gémissent sur les méfaits du temps font des rêves comparables : si seulement la famille pouvait revenir comme avant, avec un père au centre et des enfants obéissants, la société française se porterait mieux. Un tel raisonnement oublie l'essentiel : les parents doivent préparer leurs enfants à être des adultes qui pourront vivre dans la société de demain. Or toutes les prévisions nous annoncent que le monde de demain demandera des individus autonomes, capables de faire preuve de « flexibilité » dans leurs parcours professionnels. Et on voudrait que ces individus aient une personnalité à l'ancienne, définie en priorité par la vertu de l'obéissance !
Étrange aveuglement nostalgique qui nous interdit de réfléchir à notre avenir! La question de « vivre ensemble » en cette fin de XXe siècle réclame de l'imagination. Contrairement à certaines apparences, les familles contemporaines ont su inventer de nouvelles relations au sein desquelles les enfants apprennent à être autonomes en participant aux décisions familiales — toutes les enquêtes de décision d'achat le montrent -, en ayant droit à certains territoires personnels. Dans la majorité des cas, ces enfants doivent aussi contribuer à l'intérêt collectif, défini par le travail et la réussite de chacun. Ils doivent donc travailler à l'école. S'est mise en place progressivement une nouvelle famille qui respecte chacun, y compris dans son avenir (ce qui n'exclut pas certaines contraintes).
© Le Monde

• Document 3 : MONTAIGNE, Essais, Livre premier, chap. XXVIII, 1580-1595

Des enfants aux pères, c'est plutôt respect. L'amitié se nourrit de communication qui ne peut se trouver entre eux pour la trop grande disparité, et offenserait à l'aventure les devoirs de nature. Car ni toutes les secrètes pensées des pères ne se peuvent communiquer aux enfants pour n'y engendrer une messéante privauté [une familiarité déplacée], ni les avertissements et corrections qui est un des premiers offices [devoirs] d'amitié, ne se pourraient exercer des enfants aux pères. Il s'est trouvé des nations où, par usage, les enfants tuaient leurs pères, et d'autres où les pères tuaient leurs enfants, pour éviter l'empêchement qu'ils se peuvent quelquefois entreporter, et naturellement l'un dépend de la ruine de l'autre. Il s'est trouvé des philosophes dédaignant cette couture [ce lien] naturelle, témoin Aristippe : quand on le pressait de l'affection qu'il devait à ses enfants pour être sortis de lui, il se mit à cracher, disant que cela en était aussi bien sorti; que nous engendrions bien des poux et des vers. Et cet autre, que Plutarque voulait induire à s'accorder [se réconcilier] avec son frère : « Je n'en fais pas, dit-il, plus grand état pour être sorti de même trou. » C'est, à la vérité, un beau nom et plein de dilection [attrait] que le nom de frère, et à cette cause en fîmes-nous, lui et moi, notre alliance. Mais ce mélange de biens, ces partages, et que la richesse de l'un soit la pauvreté de l'autre, cela détrempe merveilleusement et relâche cette soudure fraternelle. Les frères ayant à conduire le progrès de leur avancement en même sentier et même train, il est forcé qu'ils se heurtent et choquent souvent. Davantage, la correspondance et relation qui engendre ces vraies et parfaites amitiés, pourquoi se trouvera-t-elle en ceux-ci? Le père et le fils peuvent être de complexion entièrement éloignée, et les frères aussi. C'est mon fils, c'est mon parent, mais c'est un homme farouche, un méchant ou un sot. Et puis, à mesure que ce sont amitiés que la loi et l'obligation naturelle nous commandent, il y a d'autant moins de notre choix et liberté volontaire. Et notre liberté volontaire n'a point de production qui soit plus proprement sienne que celle de l'affection et amitié. Ce n'est pas que je n'aie essayé de ce côté-là tout ce qui en peut être, ayant eu le meilleur père qui fut [pourtant], et le plus indulgent, jusques à son extrême vieillesse, et étant d'une famille fameuse de père en fils, et exemplaires en cette partie de la concorde fraternelle.

• Document 4 : Saturne dévorant un de ses enfants, tableau de Francisco Goya (1746-1828), peint entre 1819 et 1823 

Césaire, Senghor et la Négritude (Une génération ne se définit-elle que par rapport à celle(s) qui la précède(nt) ? -2-)



Au cours de notre réflexion, il est apparu que, bien l'on pense souvent de prime abord à une relation d'opposition, il arrive qu'une génération tente de se définir par rapport à celle qui la précède dans un rapport d'héritage, une recherche de racines. On peut ainsi citer le mouvement de la "Négritude", initié par Aimé Césaire et  Léopold Sedar Senghor : « La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture ».

Extraits :

Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal (1939)

" ô lumière amicale
ô fraîche source de la lumière
ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité
ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre
ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale elle plonge dans la chair rouge du sol elle plonge dans la chair ardente du ciel elle troue l'accablement opaque de sa droite patience.

[...]

Écoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
ses raideurs d'acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !"

Léopold Sédar Senghor, Femme noire

"Femme nue, femme noire
Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au coeur de l'Eté et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l'éclair d'un aigle
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais
lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du
Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée
Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux
flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta
peau.
Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire
A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains
de tes yeux.
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les
racines de la vie."

On peut également évoquer bien entendu le mouvement du Black Power aux États-Unis. 
 

Une génération ne se définit-elle que par rapport à celle(s) qui la précède(nt) ? -1-

Voici le sujet que nous avons travaillé avec mes étudiants. Au cours de notre réflexion, il est apparu nécessaire de convoquer en référence la génération de 1830, et en particulier ce célèbre texte de Musset, extrait des Confessions d'un enfant du siècle.

Rappel : les dates à connaître pour la compréhension de ce texte :
1789 Révolution. Instauration de la République
1804-1815 Empire : Napoléon Ier
1815 - 1830 Restauration : Louis XVIII monte sur le trône, retour de la dynastie régnante avant la Révolution
1830 : Révolution de Juillet. Au lieu de permettre un retour à la République, cette révolution conduit à un nouveau système monarchique : la Monarchie de Juillet.

"Pendant les guerres de l’empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés dans les collèges aux roulements de tambours, des milliers d’enfants se regardaient entre eux d’un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d’or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval.
Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré. Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au cœur de l’humanité, il la tordait entre ses mains, et en faisait une corde neuve à son arc ; puis il posait sur cet arc une de ces flèches qui traversèrent le monde, et s’en furent tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur.
Jamais il n’y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme ; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées ; jamais il n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs ; jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants, et qui ne laissaient de nuages qu’aux lendemains de ses batailles.
C’était l’air de ce ciel sans tache, où brillait tant de gloire, où resplendissait tant d’acier, que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu’ils étaient destinés aux hécatombes ; mais ils croyaient Murat invulnérable, et on avait vu passer l’empereur sur un pont où sifflaient tant de balles, qu’on ne savait s’il pouvait mourir. Et quand même on aurait dû mourir, qu’était-ce que cela ? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique, dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l’espérance, elle fauchait de si verts épis qu’elle en était comme devenue jeune, et qu’on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux de France étaient des boucliers ; tous les cercueils en étaient aussi ; il n’y avait vraiment plus de vieillards ; il n’y avait que des cadavres ou des demi-dieux.
[...]
 Les enfants sortirent des collèges, et ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères. Mais on leur répondit que la guerre était finie, que César était mort, et que les portraits de Wellington et de Blücher étaient suspendus dans les antichambres des consultats et des ambassades, avec ces deux mots au bas : Salvatoribus mundi.
Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.
[...]

Les enfants regardaient tout cela, pensant toujours que l’ombre de César allait débarquer à Cannes et souffler sur ces larves ; mais le silence continuait toujours, et l’on ne voyait flotter dans le ciel que la pâleur des lis. Quand les enfants parlaient de gloire, on leur disait : Faites-vous prêtres ; quand ils parlaient d’ambition : Faites-vous prêtres ; d’espérance, d’amour, de force, de vie : Faites-vous prêtres.
Cependant, il monta à la tribune aux harangues un homme qui tenait à la main un contrat entre le roi et le peuple ; il commença à dire que la gloire était une belle chose, et l’ambition et la guerre aussi ; mais qu’il y en avait une plus belle, qui s’appelait la liberté.
Les enfants relevèrent la tête et se souvinrent de leurs grands-pères, qui en avaient aussi parlé.
[...]

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et encore ces deux mondes... quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.
Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’empire et petits-fils de la révolution.
Or, du passé, ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils l’aimaient, mais quoi ? comme Pygmalion Galathée ; c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines.
Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié foetus ; ils s’en approchèrent comme le voyageur à qui l’on montre à Strasbourg la fille d’un vieux comte de Saverdern, embaumée dans sa parure de fiancée. Ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger.
[...]

Mais la jeunesse ne s’en contentait pas.[...]
Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les cœurs jeunes."

Génération Y : Un article dans la Voix du Nord

"Ferez-vous une place à la génération Y ?"

"Les sociologues ont baptisé « génération Y » les jeunes de 15 à 31 ans. Ils représenteront près d'un actif sur deux en 2015. Évidemment, les Y ne pensent pas comme leurs parents ou leurs employeurs. Immersion dans la tête d'un Y [...]

 L'article peut être consulté ici

Les "jeunes " et la politique : Libération, 11 février 2010

























L'engagement politique des jeunes : c'est le thème que se proposait d'explorer le quotidien Libération le jeudi 11 février, à travers une interview de la politologue Anne Muxel, auteur de Avoir 20 ans en politique.
L'article est consultable en ligne sur


L'interview est à lire, bien entendu, ne serait-ce que pour son analyse des nouvelles formes d'engagement qui seraient propres à une génération.
Cependant, il est véritablement regrettable, d'un point de vue scientifique, qu'aucun élément de comparaison ne soit véritablement donné :  il aurait été intéressant de pouvoir comparer les chiffres de l'abstention des "jeunes" avec l'abstention de  la génération précédente au même âge, ou encore  les comportements d'électeurs appartenant à des classes d'âge différentes lors d'une même élection . Ceci n'est fait que trop rapidement, au détour d'une phrase : "6 Français sur 10 ne se sont pas déplacés non plus."

Par ailleurs, les analyses de l'INSEE nuancent les affirmations de Mme Muxel: voici quelques données que j'ai sélectionnées. Pour les étudiants, il peut être intéressant de se demander en quoi elles complètent ou apportent un contre-point à l'article...

Doc 1.

Champ : électeurs inscrits en France métropolitaine.
Source : Insee, fichier national des électeurs, mars 2007.

 Doc. 2.

Ainsi pour les élections présidentielles de 2007 :  "Les jeunes se sont inscrits en nombre. En 2007, en métropole, près de 1,4 million de personnes sont inscrites pour la première fois sur les listes, soit 3,4 % du corps électoral.
Le facteur démographique et l’inscription d’office des jeunes qui ont atteint 18 ans en 2006 ne suffisent pas à expliquer l’ampleur du phénomène. En effet, les inscriptions d’office ne représentent que 40 % des nouvelles inscriptions. Au-delà, 830 000 électeurs sont venus d’eux-mêmes se faire enregistrer fin 2006 : la moitié sont âgés de moins de 30 ans et un quart ont entre 30 et 39 ans (graphique 2). La proportion de nouveaux inscrits atteint 6 % parmi les 18-24 ans (hors inscription d’office), 5 % parmi les 25-29 ans et 4 % parmi les 30-34 ans. Ce mouvement d’inscription des générations récentes à la veille du scrutin présidentiel de 2007 illustre a contrario la position de retrait qu’une partie d’entre elles avait adoptée au cours des années passées. Il s’agit un peu plus souvent d’hommes, dans 52 % des cas, alors que les hommes ne représentent que 47 % du corps électoral." (Insee)

Doc. 3.
Participation aux élections présidentielles de 2002 et 2007 selon la génération
(1er tour,  2ème tour)
                                              2007              2002



Génération 1920             76,8       78,2       73,0       79,8
Génération 1930             87,5       87,9       81,0       86,3
Génération 1940             91,0       90,8       79,7       86,4
Génération 1950             89,9       89,6       76,5       85,3
Génération 1960             87,4       88,1       72,3       81,6
Génération 1970             84,5       84,0       63,7       73,9
Génération 1980             80,9       79,8       68,4       78,1

Doc. 4.















Les générations, un objet publicitaire : les seniors

Peut-on observer une évolution de la place laissée à la génération des seniors à travers le rôle que lui donne la publicité? 













De la Mère Denis (années 70', 80')...



...à Dove (2004) ...








Evian,  en 2001



Mamie Nova 1986...





à comparer avec la version 2003  :


retrouver ce média sur www.ina.fr


Et celle-ci? A votre avis, quelle vision des générations cherche-t-elle à transmettre? (Lacroix, 1988)



Voici une autre sélection (à compléter) proposée par le site INA.fr :


retrouver ce média sur www.ina.fr


Par ailleurs, les seniors constituent de plus en plus une cible de choix pour les publicitaires :


Voici ce qu'en dit un article très intéressant  proposé par "Le Hub", site de la Poste se définissant comme  "le média de la performance client".

Vous noterez qu'à travers cet article, ce n'est pas une, mais plusieurs générations de seniors qui apparaissent.
Cet article s'accompagne d'une interview  de Nicole Pochat, Directrice Communication et Marketing d’Europ Assistance France qui explique comment sa société cible le marché des seniors.


Comment les marques s’adaptent au marché des seniors
Le nombre de nouveaux produits destinés aux plus de 50 ans double chaque année. Les clés pour comprendre les stratégies commerciales et marketing en œuvre.
La façon dont les marques segmentent les seniors
Quelques chiffres pour comprendre l’intérêt des marques pour le marché des seniors
Même s’il existe de fortes disparités au sein des plus de 50 ans, les seniors ont en moyenne des revenus supérieurs d’un tiers à ceux des moins de 50 ans. Le poids de leur consommation se retrouve dans la plupart des secteurs : alimentation, tourisme, équipement de la maison, informatique, téléphonie, etc.
• Ils représentent ainsi 50 % du marché des produits de beauté, ils achètent la moitié des voitures neuves, et même 80 % des voitures haut de gamme.
• Ils représentent 64 % des acheteurs de yaourts bio, 42 % des acheteurs de plats cuisinés allégés, 57 % des acheteurs de chocolat noir à croquer, 62,3 % de la consommation de vin, 61,2 % de la consommation d’huile d’olive, 51,2 % des cafés torréfiés….
La vision de Redcats Senior Brands (groupe PPR)
Le marché des plus de 50 ans est pourtant loin d’être homogène et requiert une segmentation par tranches d’âges. C’est l’approche, par exemple, de Redcats Senior Brands. Avec trois marques, Daxon, Edmée et Celaia, cette filiale du groupe PPR est le leader en France de la vente à distance spécialisée senior.
Sa cible historique est constituée par les femmes de plus de 65 ans. Avec une première segmentation : les 65-85 ans qui recherchent des vêtements adaptés à leurs goûts et à leur corps, mais en refusant les signes de la vieillesse, et les plus de 85 ans. « À partir de cet âge, les femmes se décrivent elles-mêmes comme des “vieilles dames” » relève Catherine Belmont, responsable du département Etudes et Marketing et gestion de fichiers de Daxon - Redcats Senior Brands.
L’enseigne s’est lancée à la conquête d’une nouvelle cible, les jeunes seniors de 50-65 ans. « À cet âge, les femmes entrent dans une phase de transition où s’opèrent des changements de vie : départ des enfants, retraite, ménopause, évolution de la silhouette, explique Catherine Belmont. Elles ont le regard tourné vers les 35-45 ans mais de nouvelles contraintes, comme la prise de poids ou le ridicule du jeunisme, les obligent à évoluer. » Pour séduire ces baby-boomeuses, Redcats Senior Brands a lancé une nouvelle marque Celaia. Les jeunes seniors n’adhéraient pas à l’image de Daxon, associée au troisième âge. Alors que Celaia, tout en proposant des vêtements adaptés, s’inscrit dans une mode « coup de cœur », dans un univers de plaisir autour des dernières tendances.
Trois, voire quatre, segments de seniors
L’exemple de Daxon illustre la segmentation habituellement retenue par les marques vis-à-vis des seniors : trois, parfois quatre, segments qui correspondent à des générations bien distinctes, chacune avec ses valeurs propres, ses besoins et ses envies de consommation, son rapport aux marques.
Agence spécialisée sur le marché des seniors, Senioragency propose comme segmentation :
• Les happy-boomers (50 - 60 ans) : 8 000 000 consommateurs. Nés après guerre, ils sont les enfants de la société de consommation et de l’innovation. Ils ne ressemblent en rien à leurs aînés.
• Les libérés (60 - 75ans) : 7 700 000 consommateurs. Enfants de la Libération, ils sont aujourd’hui à la retraite. Libérés de toute contrainte, ils en profitent pour réaliser tout ce qu’ils n’ont pu faire auparavant et qu’ont fait les happy-boomers à 20 ans comme les voyages, les loisirs, etc.
• Les paisibles (75 - 85 ans) : 3 800 000 consommateurs. Les vrais seniors qui consomment des produits de seniors.
• Les TGV (85 ans et +) : 1 100 000 Très Grands Vieillards. Leur consommation est réalisée par leurs enfants "happy-boomers" et "libérés".
Pour aller plus loin dans l’analyse du marché des seniors, voir sur ce site le décryptage effectué par Hervé Sauzay, directeur du département Générations et Modes de Vie, de Bayard
En France, la distribution hésite à cibler les seniors
Une certaine indifférence de la part des distributeurs Si les marques ont intégré la cible seniors dans leur marketing, la grande distribution se montre en France encore hésitante à franchir le pas d’une approche dédiée. D’après une étude du Centre d’étude sur le commerce et la distribution, menée il y a quelques années auprès de 800 entreprises de distribution, et citée par le blog Nouveau Marketing : – 5,9 % seulement des distributeurs connaissent l’âge de leurs clients ; – 5,2 % estiment que les seniors ont des besoins particuliers ; – 2,4 % tiennent compte des besoins des seniors dans leur infrastructure ; – 1 % ont l’intention de faire une étude sur cette cible.
Mais ailleurs dans le monde, les initiatives se multiplient
À l’étranger, les distributeurs ne craignent pas s’adresser spécifiquement aux seniors. Au Japon, par exemple, la chaîne de magasins de proximité franchisés, Daiei Lawson, teste des lieux de vente spécialement aménagés pour les seniors, imitant son principal concurrent, Seven-Eleven Japan Co, qui a déjà adapté certains de ses magasins. Plus proche de nous, chez nos voisins européens, des petites et des grandes surfaces conçues pour les seniors existent depuis plusieurs années : le Seniorenfachmarkt Deliga, en Allemagne près de Dresde, le magasin « Adeg Aktiv Markt 50+ » en Autriche près de Salzbourg, « Tienda del Abuelo », une chaîne de magasins franchisés en Espagne, etc.
Ces magasins se distinguent par leur offre proposant, en plus des produits de consommation courante, des articles spécifiquement adaptés aux seniors, comme des loupes de lecture ou des chaussures de confort. Mais ils se caractérisent surtout par leur aménagement : des allées plus larges, une lumière plus douce, des salles de repos, des étiquettes en plus gros caractères… Ce plus grand confort est d’ailleurs apprécié au-delà des seniors, puisque ces magasins expliquent être fréquentés par un public plus large.
Les baby-boomers restent cependant une cible bien spécifique
Alors que ces magasins spécialisés ciblent les tranches les plus âgées de seniors, Gap a essayé de conquérir le marché des jeunes seniors en lançant aux Etats-Unis une chaîne dédiée, Forth & Townes : des magasins confortables mais aussi très tendance pour séduire les nouvelles baby-boomeuses. Forth & Townes avait même veillé à recruter des vendeuses plus âgées que dans d’autres enseignes, pour mettre à l’aise les clientes et mieux les conseiller.
Mais cette expérience n’a duré que 18 mois, Gap annonçant début 2007 la fermeture des magasins Forth & Townes. Comme l’analyse le Washington Post, cet échec est en partie imputable aux difficultés que la maison-mère rencontre sur ses autres segments de clientèle : ses résultats étant globalement en baisse, Gap était devenu réticent à poursuivre les investissements pour développer sa chaîne de magasins seniors. Mais il faut aussi noter que les ventes de Forth & Townes étaient en deçà des objectifs. Même si les lieux de vente s’inscrivaient dans un univers résolument moderne, les jeunes seniors semblent avoir eu peur de se voir enfermées sous une étiquette qu’elles récusent.
L’innovation produit et service pour séduire les plus de 50 ans
90% de croissance pour les nouveaux produits destinés aux seniors En faisant abstraction des produits spécialisés destinés au grand âge (audition, déplacement, etc.), le rythme de lancement de nouveaux produits conçus pour les seniors s’accélère fortement. Selon la société spécialisée dans le conseil en sciences de la vie, Alcimed, cette croissance était de 30 % entre 2002 et 2003, 40% entre 2003 et 2004 et de 90% entre 2005 et 2006 (avec 553 nouveaux produits en 2006). Cette forte augmentation s’est poursuivie en 2007 : sur les cinq premiers mois de l’année uniquement, le lancement de nouveaux produits pour seniors a progressé de 64 % par rapport à la même période en 2006.
Des produits plus pratiques mais aussi résolument modernes
Schématiquement, les produits conçus pour les seniors vont mettre en avant la praticité, la simplicité, le confort d’utilisation. C’est par exemple le PC Ordissimo, un ordinateur qui séduit une clientèle à 80 % senior grâce à une approche très simplifiée de l’informatique comme des touches spécifiques pour les fonctions « copier » et « coller ». Mais il faut se garder d’une vision trop réductrice vis-à-vis des attentes des seniors. Ainsi l’appareil photo numérique HP Photosmart R847 : il propose bien sûr une très grande simplicité d’utilisation pour séduire cette cible, mais il y ajoute une fonction qui permet de rajeunir le sujet pris en photo ! Un « effet lifting » qui gomme rides et imperfections du visage. Une autre option permet d’amincir une personne prise en photo…
Après 50 ans, l’envie de séduire ne s’estompe pas
L’industrie cosmétique l’a bien compris. TNS Sofres rappelle que l’un des plus grands lancements de Revlon aux Etats-Unis ces dix dernières années a été Vital Radiance, une ligne de maquillage destinée aux femmes de plus de cinquante ans. Les formules sont hydratantes, les ombres à paupière plus faciles à appliquer sur des paupières ridées, leurs couleurs plus douces. Les packagings et les modes d’application sont adaptés à des mains moins adroites. Les modes d’emploi sont plus lisibles et plus détaillés.
Des services associés pour accompagner les seniors
En lançant sa marque Vital Radiance, Revlon a également ouvert une hot line dédiée pour les consommatrices afin de leur apporter des conseils sur le maquillage après 50 ans. Mettre en place des services pour accompagner les seniors est une tendance chez les entreprises. On le retrouve ainsi par exemple dans la Carte Senior de la SNCF Cette carte a tous les attributs de la carte de fidélisation : des réductions pour les plus de 60 ans, couplées avec le programme S’miles. Mais elle fait aussi entrer le senior dans un univers de services. Comme la possibilité de recevoir par courrier ou par e-mail une « feuille de voyage » qui récapitule toutes les étapes du déplacement (plan des gares, horaires, placement à l’intérieur du train…) ou encore l’envoi de SMS en cas de perturbation. La Carte Senior apporte aussi des facilités et des réductions pour le transport des bagages de porte à porte, ainsi que pour le service d’accompagnement des voyageurs de leur domicile jusqu’au train. Au-delà des services adaptés, la clientèle des seniors demande aussi une façon adaptée de rendre le service. Comme l’explique au magazine L’Expansion Alexandre Vielle, président de la société qui commercialise les ordinateurs Ordissimo : « Nous avons gardé notre service après-vente en interne, afin d’être au plus près des besoins de nos clients. Pour la hot line, nous formons nos collaborateurs à la patience et à l’écoute, et, dans notre aide à distance, nous pouvons prendre la main sur l’ordinateur. »
Vers un label « produit senior » ?
Aux Etats-Unis, la société Home Depot d’aménagement de la maison a signé en 2005 un accord avec l’association de seniors AARP, forte de 36 millions de membres, visant à labelliser des produits pour les plus de 50 ans (facilité d’assemblage, serrage et dévissage faciles, notices d’utilisation lisibles…).
Mais ici aussi, les réticences des entreprises restent fortes en France. « Prenez l’exemple de l’automobile, commente Senioragency. Le mot d’ordre de nos constructeurs nationaux est de conquérir les jeunes avec des publicités décalées, même pour des produits qui sont manifestement destinés aux seniors comme la Modus de Renault ou la 1007 de Peugeot. Pendant ce temps, les constructeurs asiatiques sont omniprésents dans les médias consommés par les seniors avec des publicités très informatives. Résultat des courses : les ventes se font attendre pour la Modus et la 1007 alors que la progression des asiatiques est fulgurante. »
Genius et les services à la personne
Des services simples, accessibles, proposés dans le cadre d’un forfait pour un usage simplifié… Si elle s’adresse à tous, l’offre de services à la personne du Groupe La Poste, baptisée Genius, reprend tous les atouts pour séduire une cible senior. Avec en plus la caution de La Poste pour sécuriser la clientèle. Et bien sûr les services proposés répondent aux attentes des seniors, en particulier des plus âgés : entretien de la maison, assistance informatique et Internet, aide à la mobilité et au transport, soins esthétiques à domicile, petit bricolage, etc. Lire aussi sur ce thème l’interview de Nicole Pochat, directrice marketing et communication Europ Assistance.

Les médias de la relation
La nécessité de segmenter la communication
Retour sur Daxon : la marque a renoncé à l’idée d’un catalogue unique pour ses trois générations de clientes. « On ne peut pas les faire cohabiter dans un même catalogue, explique Catherine Belmont. On a donc tout simplement créé des catalogues différents. On a d’abord sorti l’offre Prêt-à-porter “Grand âge” du catalogue général. On a ensuite fait deux versions du catalogue général : une version “jeune senior” et une version “classique” mais avec une même couverture pour conserver une unicité de marque. » Les changements entre les versions sont à l’intérieur, avec des poses de mannequins différentes ou encore un poids spécifique accordé aux différents secteurs de consommation (détente, lingerie, prêt-à-porter). D’un côté, des pages plus mode pour les jeunes seniors (« je vis ma vie »), la femme mise en avant. De l’autre, des arguments rationnels pour convaincre la cliente classique (« en toute circonstance », « facile d’entretien », valeurs familiales, intergénération).
Les plus de 50 ans sont des générations de l’écrit
Les supports papier constituent un média clé pour s’adresser aux seniors. On peut rappeler que même les plus jeunes d’entre eux ont grandi avant l’explosion de la télévision : la deuxième chaîne n’arrive en France qu’en 1972 et les programmes ne démarrent à l’époque qu’à 19 heures… « 97 % des seniors lisent la presse magazine, 42 % des livres, » illustre Hervé Sauzay, directeur du département Générations et Modes de Vie, de Bayard. Sans oublier que les seniors arrivés à l’âge de la retraite ont du temps pour lire les magazines, consulter les courriers qui leur sont adressés… et comparer. Car les seniors constituent une cible exigeante, expérimentée, rationnelle, qui prend le temps de choisir et de peser les différents arguments. « L’écriture de type marketing direct permet justement de développer les arguments, de montrer les plus produits et les détails, explique Benoît Goblot, directeur général de Senioragency. Les seniors apprécient aussi le marketing direct car ils gardent la maîtrise du processus décisionnel. C’est le média idéal pour argumenter, prouver et accomplir l’acte de vente. Auprès des seniors, les scores des entreprises qui utilisent le marketing direct rencontrent des sommets. »
Mais les seniors vivent aussi à l’heure de la télévision et d’internet !
Les plus de 50 ans sont les plus grands consommateurs de télévision. En moyenne, les plus de 50 ans passent 4h17 minutes chaque jour devant la télé (contre 3h27 pour l’ensemble de la population, selon les derniers chiffres Mediamétrie). Et ils consacrent une autre partie de leurs journées à surfer sur internet ! Toujours d’après Mediamétrie, les plus de 50 ans représentent aujourd’hui 24 % des internautes. En décembre 2007, 7,2 millions d’entre eux se sont connectés, soit 17 % de plus qu’un an plus tôt. Dans le détail, 1,8 million ont consulté un blog (+ 80 %) et 1,3 million ont regardé une vidéo (+ 71 %). Au cours du dernier trimestre 2007, 4,4 millions ont acheté en ligne (+ 23 %).
Dans ce contexte, la télévision qu’a lancé fin 2007 Philippe Gildas pour les seniors se veut un bimedia : chaîne de télé et site web Vivolta.com . Et un autre animateur, Arthur, annonce lui aussi le lancement d’un site web dédié aux baby-boomers, Mageneration. Com. Voilà des seniors bien convoités !
Les seniors prennent les manettes des jeux vidéos
Les seniors deviennent également accros des jeux vidéo. En France, 12 % des utilisateurs de la console de jeu Wii ont plus de 45 ans. C’est la première fois que cette population prend une telle ampleur. Et la marge de progression reste importante : en Angleterre, ils sont déjà 34 % à jouer après 45 ans…


L’ interview de Nicole Pochat, Directrice Communication et Marketing d’Europ Assistance France

"Quelle est votre vision du marché des seniors ?

C’est un marché aussi hétérogène que celui des jeunes. Parler des jeunes, est-ce parler des ados, des pré-ados, des jeunes adultes ? La difficulté est la même pour les seniors. Pour nous à Europ Assistance, il existe trois populations de seniors. Il y a d’abord les actifs, qui n’ont pas atteint l’âge de la retraite, et dont les parents sont encore, le plus souvent, en vie. C’est un critère important pour nous car les personnes de 55 ans sont en recherche de solutions pour la prise en charge de leurs parents qui deviennent dépendants. Deuxième population de seniors : les jeunes retraités. Bien souvent, ils n’ont malheureusement plus leurs parents à charge, mais ils ont du temps, et aussi globalement des revenus, leur permettant de profiter de la vie, avec un certain confort de services. Enfin, statistiquement, la troisième génération de seniors commence pour nous à 78 ans. C’est l’âge où apparaissent les vrais problèmes d’autonomie, nécessitant des services adaptés.

Avez-vous vu des évolutions, pour ces populations de seniors, sur votre activité historique, celle de l’assistance et du rapatriement à l’international ?

Il y a encore une dizaine d’années, notre plateau d’assistance avait une activité très saisonnière, avec trois fois plus d’appels sur les mois de juin, juillet et août. Aujourd’hui, même si ces trois mois restent chargés, nous avons des demandes toute l’année, liées aux seniors qui voyagent en dehors des périodes scolaires. Il n’est plus exceptionnel que nous recevions des demandes d’assistance de personnes de plus de 75 ans sur des treks à plus de 3 000 mètres d’altitude. Je me souviens d’un appel d’une dame de 80 ans qui s’était cassée le col du fémur… en monoski ! Sa première préoccupation face au médecin était de savoir quand elle pourrait remonter sur les pistes. Voilà le senior d’aujourd’hui ! Très actif, mais qui ne se voit pas non plus vieillir. Nous prodiguons des conseils de prudence, incitant par exemple les personnes qui voyagent à consulter leur médecin avant de partir.

Quelles sont les nouvelles attentes créées par le vieillissement de la population ?

Bien évidemment, les services à la personne. Nous avons mené une étude avec TNS Sofres qui montre que l’aide aux personnes qui vieillissent est le service qu’attendent en premier les Français, loin devant l’assistance maternelle par exemple. 72 % considèrent que les services pour les personnes âgées sont les plus utiles. Ce chiffre monte à 85 % chez les plus de 55 ans, qui sont confrontés directement ou indirectement à ce problème. Avant même la dépendance, il y a une forte attente pour de l’aide au maintien à domicile, des aides ménagères, des auxiliaires de vie, la réalisation de petit bricolage à domicile, etc.

Que peut proposer Europ Assistance sur ce marché ?

Il n’y a pas besoin de faire appel à une société d’assistance comme la notre pour trouver une aide ménagère. Ce que nous amenons, c’est un package de services, ainsi que leur coordination qui est un point essentiel. Si l’on regarde nos contrats dépendance, ils comportent un bilan annuel d’autonomie, le plus souvent à partir de 70 ans. Comme je vous le disais, les gens ne se voient pas vieillir et ils se refusent à ne plus mener certaines activités. Notre questionnaire permet de diagnostiquer la perte d’autonomie, et aussi d’en faire prendre conscience nos assurés. Cela permet de déclencher certaines prestations au bon moment. Comme l’installation d’un système de téléassistance ou l’intervention d’un ergothérapeute au domicile pour adapter le logement aux besoins d’une personne dépendante.

Vous accompagnez aussi les enfants des personnes dépendantes ?

Aider des parents en perte d’autonomie peut être un travail à plein temps, très impliquant émotionnellement, très difficile aussi. Nous proposons donc ce que l’on appelle une « aide aux aidants » pour soutenir la famille et lui permettre d’entrer en contact avec des spécialistes. Nous développons aussi un portail de services sur internet qui permet aux enfants de pouvoir consulter l’agenda de leur parent, comme les rendez-vous médicaux, d’avoir accès aux coordonnées de tous les intervenants, de pouvoir poser à des questions à des spécialistes, assistantes sociales, gérontologues…. Il y a une forte attente pour ce type de services très pratiques, très concrets, et rassurants. Nous avons en projet de développer plus encore ce portail de services. Reste néanmoins la question du modèle économique. Car les services à la personne ont un coût. Les payer en direct revient cher, même avec la loi Borloo qui ne couvre d’ailleurs pas toutes les prestations. La solution semble devoir passer par une mutualisation du coût de la prise en charge des personnes dépendances. Mais sur quel modèle ? C’est un vrai défi de société à relever."

Les générations, un objet publicitaire : les campagnes CNP

Les générations ont inspiré à la CNP une campagne suivie de très grande qualité : on trouve ainsi, parmi les réalisateurs, Lars von Trier (Palme d'Or 2000 pour Dancer in the Dark)
Dans ces films, on retrouve entremêlées les 3 définitions proposées par Gaussen, puisque bien que le fil directeur soit la perspective "généalogique", et la transmission familiale, la perspective sociologique et la notion de cohorte apparaissent en arrière-fond à travers les objets et les modes symboliques d'une classe d'âge, tandis que la défintion historique est évoquée par le rappel d'évènements (la Libération par exemple).


Le site CNP propose une présentation interactive de ces campagnes, ainsi que de nombreuses informations, à partir d'un axe chronologique : vous le trouverez ici.

Pierre Bourdieu : " La jeunesse n'est qu'un mot "



La sociologie est un sport de combat (2001)
Extrait vidéo (source) : "Pourquoi les jeunes des centre-villes réussissent ils mieux que les jeunes de banlieue ? Dans cet extrait du documentaire "La sociologie est un sport de combat" de Pierre Carles, Pierre Bourdieu définit dans un premier temps ce qu'est la sociologie. Puis, il tente d'expliquer ce que sont l'inégalité sociale, la reproduction sociale, les différences de capitaux et d'héritages économiques mais aussi culturels."



" La jeunesse n'est qu'un mot " :

Entretien avec Anne-Marie Métailié, paru dans Les jeunes et le premier emploi, Paris, Association des Ages,1978, pp. 520-530. Repris in Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984. Ed. 1992 pp.143-154.

"Comment le sociologue aborde-t-il le problème des jeunes ?
- Le réflexe professionnel du sociologue est de rappeler que les divisions entre les âges sont arbitraires. C'est le paradoxe de Pareto disant qu'on ne sait pas à quel âge commence la vieillesse, comme on ne sait pas où commence la richesse. En fait, la frontière entre jeunesse et vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de lutte. Par exemple, j'ai lu il y a quelques années un article sur les rapports entre les jeunes et les notables, à Florence, au XVIème siècle, qui montrait que les vieux proposaient à la jeunesse une idéologie de la virilité, de la virtú, et de la violence, ce qui était une façon de se réserver la sagesse, c'est-à-dire le pouvoir. De même, Georges Duby montre bien comment, au Moyen Age, les limites de la jeunesse étaient l'objet de manipulations de la part des détenteurs du patrimoine qui devaient maintenir en état de jeunesse, c'est-à-dire d'irresponsabilité, les jeunes nobles pouvant prétendre à la succession.
On trouverait des choses tout à fait équivalentes dans les dictons et les proverbes, ou tout simplement les stéréotypes sur la jeunesse, ou encore dans la philosophie, de Platon à Alain, qui assignait à chaque âge sa passion spécifique, à l'adolescence l'amour, à l'âge mûr l'ambition. La représentation idéologique de la division entre jeunes et vieux accorde aux plus jeunes des choses qui font qu'en contrepartie ils laissent des tas de choses aux plus vieux. On le voit très bien dans le cas du sport, par exemple dans le rugby, avec l'exaltation des « bons petits », bonnes brutes dociles vouées au dévouement obscur du jeu d'avants qu'exaltent les dirigeants et les commentateurs (« Sois fort et tais-toi, ne pense pas »). Cette structure, qui se retrouve ailleurs (par exemple dans les rapports entre les sexes) rappelle que dans la division logique entre les jeunes et les vieux, il est question de pouvoir, de division (au sens de partage) des pouvoirs. Les classifications par âge (mais aussi par sexe ou, bien sûr, par classe...) reviennent toujours à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place.

- Par vieux, qu'entendez-vous ? Les adultes ? Ceux qui sont dans la production ? Ou le troisième âge ?
-  Quand je dis jeunes/ vieux, je prends la relation dans sa forme la plus vide. On est toujours le vieux ou le jeune de quelqu'un. C'est pourquoi les coupures soit en classes d'âge, soit en générations, sont tout à fait variables et sont un enjeu de manipulations. Par exemple, Nancy Munn, une ethnologue, montre que dans certaines sociétés d'Australie, la magie de jouvence qu'emploient les vieilles femmes pour retrouver la jeunesse est considérée comme tout à fait diabolique, parce qu'elle bouleverse les limites entre les âges et qu'on ne sait plus qui est jeune, qui est vieux. Ce que je veux rappeler, c'est tout simplement que la jeunesse et la vieillesse ne sont pas des données mais sont construites socialement, dans la lutte entre les jeunes et les vieux. Les rapports entre l'âge social et l'âge biologique sont très complexes. Si l'on comparait les jeunes des différentes fractions de la classe dominante, par exemple tous les élèves qui entrent à l'École Normale, l'ENA, l'X, etc., la même année, on verrait que ces « jeunes gens » ont d'autant plus les attributs de l'adulte, du vieux, du noble, du notable, etc., qu'ils sont plus proches du pôle du pouvoir. Quand on va des intellectuels aux PDG, tout ce qui fait jeune, cheveux longs, jeans, etc., disparaît.
- Chaque champ, comme je l'ai montré à propos de la mode ou de la production artistique et littéraire, a ses lois spécifiques de vieillissement : pour savoir comment s'y découpent les générations, il faut connaître les lois spécifiques du fonctionnement du champ, les enjeux de lutte et les divisions que cette lutte opère (« nouvelle vague », « nouveau roman », « nouveaux philosophes », « nouveaux magistrats », etc.). Il n'y a rien là que de très banal, mais qui fait voir que l'âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ; et que le fait de parler des jeunes comme d'une unité sociale, d'un groupe constitué, doté d'intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente. Il faudrait au moins analyser les différences entre les jeunesses, ou, pour aller vite, entre les deux jeunesses. Par exemple, on pourrait comparer systématiquement les conditions d'existence, le marché du travail, le budget temps, etc., des « jeunes » qui sont déjà au travail, et des adolescents du même âge (biologique) qui sont étudiants : d'un côté, les contraintes, à peine atténuées par la solidarité familiale, de l'univers économique réel, de l'autre, les facilités d'une économie quasi ludique d'assistés, fondée sur la subvention, avec repas et logement à bas prix, titres d'accès à prix réduits au théâtre et au cinéma, etc. On trouverait des différences analogues dans tous les domaines de l'existence : par exemple, les gamins mal habillés, avec des cheveux trop longs, qui, le samedi soir, baladent leur petite amie sur une mauvaise mobylette, ce sont ceux-là qui se font arrêter par les flics.
Autrement dit, c'est par un abus de langage formidable que l'on peut subsumer sous le même concept des univers sociaux qui n'ont pratiquement rien de commun. Dans un cas, on a un univers d'adolescence, au sens vrai, c'est-à-dire d'irresponsabilité provisoire : ces « jeunes » sont dans une sorte de no man's land social, ils sont adultes pour certaines choses, ils sont enfants pour d'autres, ils jouent sur les deux tableaux. C'est pourquoi beaucoup d'adolescents bourgeois rêvent de prolonger l'adolescence : c'est le complexe de Frédéric de L'Éducation sentimentale, qui éternise l'adolescence. Cela dit, les « deux jeunesses » ne représentent pas autre chose que les deux pôles, les deux extrêmes d'un espace de possibilités offertes aux « jeunes ». Un des apports intéressants du travail de Thévenot, c'est de montrer que, entre ces positions extrêmes, l'étudiant bourgeois et, à l'autre bout, le jeune ouvrier qui n'a même pas d'adolescence, on trouve aujourd'hui toutes les figures intermédiaires.

- Est-ce que ce qui a produit cette espèce de continuité là où il y avait une différence plus tranchée entre les classes, ce n'est pas la transformation du système scolaire ?
- Un des facteurs de ce brouillage des oppositions entre les différentes jeunesses de classe, est le fait que les différentes classes sociales ont accédé de façon proportionnellement plus importante à l'enseignement secondaire et que, du même coup, une partie des jeunes (biologiquement) qui jusque-là n'avait pas accès à l'adolescence, a découvert ce statut temporaire, « mi-enfant mi-adulte », « ni enfant, ni adulte ». Je crois que c'est un fait social très important. Même dans les milieux apparemment les plus éloignés de la condition étudiante du XIXème siècle, c'est-à-dire dans le petit village rural, avec les fils de paysans ou d'artisans qui vont au CES local, même dans ce cas-là, les adolescents sont placés, pendant un temps relativement long, à l'âge où auparavant ils auraient été au travail, dans ces positions quasi extérieures à l'univers social qui définissent la condition d'adolescent. Il semble qu'un des effets les plus puissants de la situation d'adolescent découle de cette sorte d'existence séparée qui met hors jeu socialement. Les écoles du pouvoir, et en particulier les grandes écoles, placent les jeunes dans des enclos séparés du monde, sortes d'espaces monastiques où ils mènent une vie à part, où ils font retraite, retirés du monde et tout entiers occupés à se préparer aux plus « hautes fonctions » : ils y font des choses très gratuites, de ces choses qu'on fait à l'école, des exercices à blanc. Depuis quelques années, presque tous les jeunes ont eu accès à une forme plus ou moins accomplie et surtout plus ou moins longue de cette expérience ; pour si courte et si superficielle qu'elle ait pu être, cette expérience est décisive parce qu'elle suffit à provoquer une rupture plus ou moins profonde avec le « cela-va-de-soi ». On connaît le cas du fils de mineur qui souhaite descendre à la mine le plus vite possible, parce que c'est entrer dans le monde des adultes. (Encore aujourd'hui, une des raisons pour lesquelles les adolescents des classes populaires veulent quitter l'école et entrer au travail très tôt, est le désir d'accéder le plus vite possible au statut d'adulte et aux capacités économiques qui lui sont associées : avoir de l'argent, c'est très important pour s'affirmer vis-à-vis des copains, vis-à-vis des filles, pour pouvoir sortir avec les copains et avec les filles, donc pour être reconnu et se reconnaître comme un « homme ». C'est un des facteurs du malaise que suscite chez les enfants des classes populaires la scolarité prolongée). Cela dit, le fait d'être placé en situation d'« étudiant » induit des tas de choses qui sont constitutives de la situation scolaire : ils ont leur paquet de livres entouré d'une petite ficelle, ils sont assis sur leur mobylette à baratiner une fille, ils sont entre jeunes, garçons et filles, en dehors du travail, ils sont dispensés à la maison des tâches matérielles au nom du fait qu'ils font des études (facteur important, les classes populaires se plient à cet espèce de contrat tacite qui fait que les étudiants sont mis hors jeu).
Je pense que cette mise hors jeu symbolique a une certaine importance, d'autant plus qu'elle se double d'un des effets fondamentaux de l'école qui est la manipulation des aspirations. L'école, on l'oublie toujours, ce n'est pas simplement un endroit où l'on apprend des choses, des savoirs, des techniques, etc., c'est aussi une institution qui décerne des titres, c'est-à-dire des droits, et confère du même coup des aspirations. L'ancien système scolaire produisait moins de brouillage que le système actuel avec ses filières compliquées, qui font que les gens ont des aspirations mal ajustées à leurs chances réelles. Autrefois, il y avait des filières relativement claires : si on allait au-delà du certificat, on entrait dans un cours complémentaire, dans une EPS, dans un Collège ou dans un Lycée ; ces filières étaient clairement hiérarchisées et on ne s'embrouillait pas. Aujourd'hui, il y a une foule de filières mal distinguées et il faut être très averti pour échapper au jeu des voies de garage ou des nasses, et aussi au piège des orientations et des titres dévalués. Cela contribue à favoriser un certain décrochage des aspirations par rapport aux chances réelles. L'ancien état du système scolaire faisait intérioriser très fortement les limites ; il faisait accepter l'échec ou les limites comme justes ou inévitables... Par exemple, les instituteurs et les institutrices étaient des gens qu'on sélectionnait et formait, consciemment ou inconsciemment, de telle manière qu'ils soient coupés des paysans et des ouvriers, tout en restant complètement séparés des professeurs du secondaire. En mettant dans la situation du « lycéen », même au rabais, des enfants appartenant à des classes pour qui l'enseignement secondaire était autrefois absolument inaccessible, le système actuel encourage ces enfants et leur famille à attendre ce que le système scolaire assurait aux élèves des Lycées au temps où ils n'avaient pas accès à ces institutions. Entrer dans l'enseignement secondaire, c'est entrer dans les aspirations qui étaient inscrites dans le fait d'accéder à l'enseignement secondaire à un stade antérieur : aller au Lycée, cela veut dire chausser, comme des bottes, l'aspiration à devenir prof de Lycée, médecin, avocat, notaire, autant de positions qu'ouvrait le Lycée dans l'entre-deux guerres. Or, quand les enfants des classes populaires n'étaient pas dans le système, le système n'était pas le même. Du même coup, il y a dévalorisation par simple effet d'inflation et aussi du fait du changement de la « qualité sociale » des détenteurs de titres. Les effets d'inflation scolaire sont plus compliqués qu'on ne le dit communément : du fait qu'un titre vaut toujours ce que valent ses porteurs, un titre qui devient plus fréquent est par là même dévalué, mais il perd encore de sa valeur parce qu'il devient accessible à des gens « sans valeur sociale ».

- Quelles sont les conséquences de ce phénomène d'inflation ?
- Les phénomènes que je viens de décrire font que les aspirations inscrites objectivement dans le système tel qu'il était en l'état antérieur sont déçues. Le décalage entre les aspirations que le système scolaire favorise par l'ensemble des effets que j'ai évoqués et les chances qu'il garantit réellement est au principe de la déception et du refus collectifs qui s'opposent à l'adhésion collective (que j'évoquais avec le fils du mineur) de l'époque antérieure et à la soumission anticipée aux chances objectives qui était une des conditions tacites du bon fonctionnement de l'économie. C'est une espèce de rupture du cercle vicieux qui faisait que le fils du mineur voulait descendre à la mine, sans même se demander s'il pourrait ne pas le faire. Il va de soi que ce que j'ai décrit là ne vaut pas pour l'ensemble de la jeunesse : il y a encore des tas d'adolescents, en particulier des adolescents bourgeois, qui sont dans le cercle comme avant ; qui voient les choses comme avant, qui veulent faire les grandes écoles, le M.I.T. ou Harvard Business School, tous les concours que l'on peut imaginer, comme avant.

- Dans les classes populaires, ces gosses se retrouvent dans des décalages dans le monde du travail.
- On peut être assez bien dans le système scolaire pour être coupé du milieu du travail, sans y être assez bien pour réussir à trouver un travail par les titres scolaires. (C'était là un vieux thème de la littérature conservatrice de 1880, qui parlait des bacheliers chômeurs et qui craignait déjà les effets de la rupture du cercle des chances et des aspirations et des évidences associées). On peut être très malheureux dans le système scolaire, s'y sentir complètement étranger et participer malgré tout de cette espèce de sous-culture scolaire, de la bande d'élèves qu'on retrouve dans les bals, qui ont un style étudiant, qui sont suffisamment intégrés à cette vie pour être coupés de leur famille (qu'ils ne comprennent plus et qui ne les comprend plus : « Avec la chance qu'ils ont ! ») et, d'autre part, avoir une espèce de sentiment de désarroi, de désespoir devant le travail. En fait, à cet effet d'arrachement au cercle, s'ajoute aussi, malgré tout, la découverte confuse de ce que le système scolaire promet à certains ; la découverte confuse, même à travers l'échec, que le système scolaire contribue à reproduire des privilèges.
Je pense — j'avais écrit cela il y a dix ans — que pour que les classes populaires puissent découvrir que le système scolaire fonctionne comme un instrument de reproduction, il fallait qu'elles passent par le système scolaire. Parce qu'au fond elles pouvaient croire que l'école était libératrice, ou quoi qu'en disent les porte-parole, n'en rien penser, aussi longtemps qu'elles n'avaient jamais eu affaire à elle, sauf à l'école primaire. Actuellement dans les classes populaires, aussi bien chez les adultes que chez les adolescents, s'opère la découverte, qui n'a pas encore trouvé son langage, du fait que le système scolaire est un véhicule de privilèges.

- Mais comment expliquer alors que l'on constate depuis trois ou quatre ans une dépolitisation beaucoup plus grande, semble-t-il ?
- La révolte confuse — mise en question du travail, de l'école, etc. — est globale, elle met en cause le système scolaire dans son ensemble et s'oppose absolument à ce qu'était l'expérience de l'échec dans l'ancien état du système (et qui n'est pas pour autant disparue, bien sûr ; il n'y a qu'à écouter les interviews : « Je n'aimais pas le français, je ne me plaisais pas à l'école, etc. »). Ce qui s'opère à travers les formes plus ou moins anomiques, anarchiques, de révolte, ce n'est pas ce qu'on entend ordinairement par politisation, c'est-à-dire ce que les appareils politiques sont préparés à enregistrer et à renforcer. C'est une remise en question plus générale et plus vague, une sorte de malaise dans le travail, quelque chose qui n'est pas politique au sens établi, mais qui pourrait l'être ; quelque chose qui ressemble beaucoup à certaines formes de conscience politique à la fois très aveugles à elles-mêmes, parce qu'elles n'ont pas trouvé leur discours, et d'une force révolutionnaire extraordinaire, capable de dépasser les appareils, qu'on retrouve par exemple chez les sous-prolétaires ou les ouvriers de première génération d'origine paysanne. Pour expliquer leur propre échec, pour le supporter, ces gens doivent mettre en question tout le système, en bloc, le système scolaire, et aussi la famille, avec laquelle il a partie liée, et toutes les institutions, avec l'identification de l'école à la caserne, de la caserne à l'usine. Il y a une espèce de gauchisme spontané qui évoque par plus d'un trait le discours des sous-prolétaires.

- Et cela a-t-il une influence sur les conflits de générations ?
- Une chose très simple, et à laquelle on ne pense pas, c'est que les aspirations des générations successives, des parents et des enfants, sont constituées par rapport à des états différents de la structure de la distribution des biens et des chances d'accéder aux différents biens : ce qui pour les parents était un privilège extraordinaire (à l'époque où ils avaient vingt ans, il y avait, par exemple, un sur mille des gens de leur âge, et de leur milieu, qui avait une voiture) est devenu banal, statistiquement. Et beaucoup de conflits de générations sont des conflits entre des systèmes d'aspirations constitués à des âges différents. Ce qui pour la génération 1 était une conquête de toute la vie, est donné dès la naissance, immédiatement, à la génération 2. Le décalage est particulièrement fort dans le cas des classes en déclin qui n'ont même plus ce qu'elles avaient à vingt ans et cela à une époque où tous les privilèges de leurs vingt ans (par exemple, le ski ou les bains de mer) sont devenus communs. Ce n'est pas par hasard que le racisme anti-jeunes (très visible dans les statistiques, bien qu'on ne dispose pas, malheureusement, d'analyses par fraction de classes) est le fait des classes en déclin comme les petits artisans ou commerçants), ou des individus en déclin et des vieux en général. Tous les vieux ne sont pas anti-jeunes, évidemment, mais la vieillesse est aussi un déclin social, une perte de pouvoir social et, par ce biais-là, les vieux participent du rapport aux jeunes qui est caractéristique aussi des classes en déclin. Évidemment les vieux des classes en déclin, c'est-à-dire les vieux commerçants, les vieux artisans, etc., cumulent au plus haut degré tous les symptômes : ils sont anti-jeunes mais aussi anti-artistes, anti-intellectuels, anti-contestation, ils sont contre tout ce qui change, tout ce qui bouge, etc., justement parce qu'ils ont leur avenir derrière eux, parce qu'ils n'ont pas d'avenir, alors que les jeunes se définissent comme ayant de l'avenir, comme définissant l'avenir.

Mais est-ce que le système scolaire n'est pas à l'origine de conflits entre les générations dans la mesure où il peut rapprocher dans les mêmes positions sociales des gens qui ont été formés dans des états différents du système scolaire ?
- On peut partir d'un cas concret : actuellement dans beaucoup de positions moyennes de la fonction publique où l'on peut avancer par l'apprentissage sur le tas, on trouve côte à côte, dans le même bureau, des jeunes bacheliers, ou même licenciés, frais émoulus du système scolaire, et des gens de cinquante à soixante ans qui sont partis, trente ans plus tôt, avec le certificat d'études, à un âge du système scolaire où le certificat d'études était encore un titre relativement rare, et qui, par l'autodidaxie et par l'ancienneté, sont arrivés à des positions de cadres qui maintenant ne sont plus accessibles qu'à des bacheliers. Là, ce qui s'oppose, ce ne sont pas des vieux et des jeunes, ce sont pratiquement deux états du système scolaire, deux états de la rareté différentielle des titres et cette opposition objective se retraduit dans des luttes de classements : ne pouvant pas dire qu'ils sont chefs parce qu'ils sont anciens, les vieux invoqueront l'expérience associée à l'ancienneté, tandis que les jeunes invoqueront la compétence garantie par les titres. La même opposition peut se retrouver sur le terrain syndical (par exemple, au syndicat FO des PTT) sous la forme d'une lutte entre des jeunes gauchistes barbus et de vieux militants de tendance ancienne SFIO. On trouve aussi côte à côte, dans le même bureau, dans le même poste, des ingénieurs issus les uns des Arts et Métiers, les autres de Polytechnique ; l'identité apparente de statut cache que les uns ont, comme on dit, de l'avenir et qu'ils ne font que passer dans une position qui est pour les autres un point d'arrivée. Dans ce cas, les conflits risquent de revêtir d'autres formes, parce que les jeunes vieux (puisque finis) ont toutes les chances d'avoir intériorisé le respect du titre scolaire comme enregistrement d'une différence de nature. C'est ainsi que, dans beaucoup de cas, des conflits vécus comme conflits de générations s'accompliront en fait à travers des personnes ou des groupes d'âge constitués autour de rapports différents avec le système scolaire. C'est dans une relation commune à un état particulier du système scolaire, et dans les intérêts spécifiques, différents de ceux de la génération définie par la relation à un autre état, très différent, du système, qu'il faut (aujourd'hui) chercher un des principes unificateurs d'une génération : ce qui est commun à l'ensemble des jeunes, ou du moins à tous ceux qui ont bénéficié tant soit peu du système scolaire, qui en ont tiré une qualification minimale, c'est le fait que, globalement, cette génération est plus qualifiée à emploi égal que la génération précédente (par parenthèse, on peut noter que les femmes qui, par une sorte de discrimination, n'accèdent aux postes qu'au prix d'une sur-sélection, sont constamment dans cette situation, c'est-à-dire qu'elles sont presque toujours plus qualifiées que les hommes à poste équivalent...). Il est certain que, par-delà toutes les différences de classe, les jeunes ont des intérêts collectifs de génération, parce que, indépendamment de l'effet de discrimination « anti-jeunes », le simple fait qu'ils ont eu affaire à des états différents du système scolaire fait qu'ils obtiendront toujours moins de leurs titres que n'en aurait obtenu la génération précédente. Il y a une déqualification structurale de la génération. C'est sans doute important pour comprendre cette sorte de désenchantement qui, lui, est relativement commun à toute la génération. Même dans la bourgeoisie, une part des conflits actuels s'explique sans doute par là, par le fait que le délai de succession s'allonge, que, comme l'a bien montré Le Bras dans un article de Population, l'âge auquel on transmet le patrimoine ou les postes devient de plus en plus tardif et que les juniors de la classe dominante doivent ronger leur frein. Ceci n'est sans doute pas étranger à la contestation qui s'observe dans les professions libérales (architectes, avocats, médecins, etc.), dans l'enseignement, etc. De même que les vieux ont intérêt à renvoyer les jeunes dans la jeunesse, de même les jeunes ont intérêt à renvoyer les vieux dans la vieillesse.
Il y a des périodes où la recherche du « nouveau » par laquelle les « nouveaux venus » (qui sont aussi, le plus souvent, les plus jeunes biologiquement) poussent les « déjà arrivés » au passé, au dépassé, à la mort sociale (« il est fini »), s'intensifie et où, du même coup, les luttes entre les générations atteignent une plus grande intensité : ce sont les moments où les trajectoires des plus jeunes et des plus vieux se télescopent, où les « jeunes » aspirent « trop tôt » à la succession. Ces conflits sont évités aussi longtemps que les vieux parviennent à régler le tempo de l'ascension des plus jeunes, à régler les carrières et les cursus, à contrôler les vitesses de course dans les carrières, à freiner ceux qui ne savent pas se freiner, les ambitieux qui « brûlent les étapes », qui se « poussent » (en fait, la plupart du temps, ils n'ont pas besoin de freiner parce que les « jeunes » — qui peuvent avoir cinquante ans — ont intériorisé les limites, les âges modaux, c'est-à-dire l'âge auquel on peut « raisonnablement prétendre » à une position, et n'ont même pas l'idée de la revendiquer avant l'heure, avant que « leur heure ne soit venue »). Lorsque le « sens des limites » se perd, on voit apparaître des conflits à propos des limites d'âge, des limites entre les âges, qui ont pour enjeu la transmission du pouvoir et des privilèges entre les générations."

Memento (source : wikipedia)

"Les types de capitaux Pierre Bourdieu distingue quatre types de capitaux fondamentaux :
  • Le capital économique mesure l'ensemble des ressources économiques d'un individu, à la fois ses revenus et son patrimoine.
  • Le capital culturel mesure l'ensemble des ressources culturelles dont dispose un individu. Elles peuvent être de trois formes : incorporées (savoir et savoir-faire, compétences, forme d'élocution, etc.), objectivées (possession d'objets culturels) et institutionnalisée (titres et diplômes scolaires).
  • Le capital social mesure l'ensemble des ressources qui sont liées à la « possession d'un réseau durable de relations d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance » .
  • Le capital symbolique désigne toute forme de capital (culturel, social, ou économique) ayant une reconnaissance particulière au sein de la société.
Bourdieu désigne par le terme de capital toutes ces ressources sociales dans la mesure où elles résultent d'une accumulation qui permet aux individus d'obtenir des avantages sociaux. Le capital économique et le capital culturel constituent, pour Bourdieu, les deux formes de capitaux les plus importantes dans nos sociétés. Toutefois, il existe pour lui un type de capital spécifique à chaque champs social, qui en détermine la structure et y constitue l'enjeu des luttes."