S'entraîner : sujet BTS blanc Générations

BTS BLANC – CGO


Première partie : Synthèse
Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des documents suivants :
• Document 1 : Gérard Vincent, Le Peuple lycéen, Gallimard,1974.
• Document 2 : François de singly, «L'invention privée de nouvelles façons de "vivre ensemble" », Le Monde (20 août 1998)
• Document 3 : MONTAIGNE, Essais, Livre premier, chap. XXVIII, 1580-1595
• Document 4 : Saturne dévorant un de ses enfants, tableau de Francisco Goya (1746-1828), peint entre 1819 et 1823

Deuxième partie : écriture personnelle
Vous répondrez d’une façon argumentée et ordonnée à la question suivante, en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles :
Comment vous situez-vous par rapport aux générations antérieures ?




• Document 1 : Gérard Vincent, Le Peuple lycéen, Gallimard,1974.
La méfiance - inavouée - des pères à l'égard de l'impatience des fils n'est pas historiquement nouvelle. Ce qui est plus nouveau, c'est sans doute le sentiment de culpabilité qui imprègne les mentalités adultes. Non seulement les parents commencent - enfin - à se sentir responsables de la naissance de leurs enfants (alors que dans les générations précédentes on exigeait que les enfants fussent « reconnaissants » à l'égard de leurs géniteurs) mais aussi ils tendent à se percevoir comme coupables de Katyn, d'Auschwitz, d'Hiroshima, des guerres menées par la France en Indochine et en Algérie et même des bombardements américains au Viêt-Nam et de la misère du Tiers-Monde. Ceux qui avaient vingt ans en 1940 ont rencontré des choix embarrassants : Pétain ou de Gaulle (le plus souvent d'ailleurPétain, « puis » de Gaulle), la Libération (révolution ou restauration ?), la décolonisation, mai 1968, etc., c'est-à-dire tous ces grands événements nationaux qui, depuis trente ans, ont trouvé les Français divisés. Combien d'adultes ressentent la honte d'avoir fait de « mauvais » choix et reconstruisent - à l'intention de leurs enfants notamment - une sorte d'autobiographie imaginaire où leur attentisme de 1940-1944 se transforme en épopée de la Résistance ? Combien d'adultes balancent entre une éducation « permissive » à laquelle les convie un freudisme sommaire qui fait partie des idées du moment (mais alors, ne seront-ils pas considérés comme des parents « démissionnaires » ?) et une éducation traditionnelle et autoritaire (mais alors, ne seront-ils pas perçus comme des parents « répressifs », comme des « pères-flics » ?). Le procès du père s'instruit quotidiennnement à la table familiale : le discours de cet homme, bien nanti mais « de gauche », prône le bouleversement de la société tout entière mais se mue en une incitation à être « raisonnable », en une dénonciation de toutes les utopies spontanéistes lorsque son fils veut descendre dans la rue pour « changer la vie » dans le sens précisément préconisé par le père. Le propos de ce chef de famille catholique et cossu est contesté par sa fille qui lui reproche de parler dix fois plus souvent de l'argent que de Dieu.
La sévérité avec laquelle les adultes - ou certains d'entre eux - se perçoivent reste très en deçà du réquisitoire que les jeunes prononcent contre eux. Puisque enseignement et éducation restent sous-tendus par une conception volontariste de l'existence (le monde est malléable à la volonté humaine et l'homme apte à contrôler - sinon à susciter - l'événement), il en découle que le fils tient le père pour responsable des horreurs de la guerre et des insuffisances de la paix. Certes le père peut répondre que lui-même n'a pas demandé à naître, qu'il a été jeté à vingt ou trente ans dans la Seconde Guerre mondiale, qu'il a hérité lui aussi de l'impuissance de la génération précédente, qu'il n'est pas sûr, après tout, que l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre ; que le fils en le dénonçant comme responsable sera jugé comme tel par sa propre descendance. Vain discours puisque la société de consommation a accouché de cet enfant naturel : une jeunesse non culpabilisée qui fait allègrement son procès car, dépourvue du sens de son propre péché, elle a - au plus haut degré - le sens du péché de l'autre (de l'adulte) et celui du péché des nantis (des pays riches responsables de la misère du Tiers-Monde).

• Document 2 : François de singly, «L'invention privée de nouvelles façons de "vivre ensemble" », Le Monde (20 août 1998)

À écouter ou lire certains discours de gauche comme de droite, il y aurait crise du lien social dans notre société. Ce serait une évidence. Et il y aurait un responsable : « C'est la faute aux parents. » Parce que les parents ne sont pas assez autoritaires, pas assez sévères avec leurs enfants, la société irait mal. Alors, on menace de suspendre ou de mettre sous tutelle les prestations sociales des parents de délinquants, et surtout on rappelle à longueur de commentaire que le retour à l'ordre dans la famille, garant du bon fonctionnement dans la société, demande une plus grande place accordée au père. La part trop grande donnée aux mères aurait contribué à un tel état de confusion familiale.
Ainsi, on remonte une des pièces idéologiques du XIXe siècle. En effet, les opposants à la Révolution française estimaient qu'en tuant le roi on avait tué le père, et que la société était sur le déclin. Ils réclament alors que l'autorité du père soit rétablie, espérant que, derrière le retour du père, puisse avoir lieu le retour du roi et le retour de Dieu. Dans une telle optique, vivre ensemble demande avant tout obéissance et soumission. La famille, «cellule de base de la société», doit d'abord mettre en œuvre en son sein de telles relations : un père, avec l'autorité, une mère, soumise, et les enfants, eux aussi soumis pour toute leur vie. Le groupe familial l'emporte sur les individus qui le composent.
Aujourd'hui, ceux et celles qui gémissent sur les méfaits du temps font des rêves comparables : si seulement la famille pouvait revenir comme avant, avec un père au centre et des enfants obéissants, la société française se porterait mieux. Un tel raisonnement oublie l'essentiel : les parents doivent préparer leurs enfants à être des adultes qui pourront vivre dans la société de demain. Or toutes les prévisions nous annoncent que le monde de demain demandera des individus autonomes, capables de faire preuve de « flexibilité » dans leurs parcours professionnels. Et on voudrait que ces individus aient une personnalité à l'ancienne, définie en priorité par la vertu de l'obéissance !
Étrange aveuglement nostalgique qui nous interdit de réfléchir à notre avenir! La question de « vivre ensemble » en cette fin de XXe siècle réclame de l'imagination. Contrairement à certaines apparences, les familles contemporaines ont su inventer de nouvelles relations au sein desquelles les enfants apprennent à être autonomes en participant aux décisions familiales — toutes les enquêtes de décision d'achat le montrent -, en ayant droit à certains territoires personnels. Dans la majorité des cas, ces enfants doivent aussi contribuer à l'intérêt collectif, défini par le travail et la réussite de chacun. Ils doivent donc travailler à l'école. S'est mise en place progressivement une nouvelle famille qui respecte chacun, y compris dans son avenir (ce qui n'exclut pas certaines contraintes).
© Le Monde

• Document 3 : MONTAIGNE, Essais, Livre premier, chap. XXVIII, 1580-1595

Des enfants aux pères, c'est plutôt respect. L'amitié se nourrit de communication qui ne peut se trouver entre eux pour la trop grande disparité, et offenserait à l'aventure les devoirs de nature. Car ni toutes les secrètes pensées des pères ne se peuvent communiquer aux enfants pour n'y engendrer une messéante privauté [une familiarité déplacée], ni les avertissements et corrections qui est un des premiers offices [devoirs] d'amitié, ne se pourraient exercer des enfants aux pères. Il s'est trouvé des nations où, par usage, les enfants tuaient leurs pères, et d'autres où les pères tuaient leurs enfants, pour éviter l'empêchement qu'ils se peuvent quelquefois entreporter, et naturellement l'un dépend de la ruine de l'autre. Il s'est trouvé des philosophes dédaignant cette couture [ce lien] naturelle, témoin Aristippe : quand on le pressait de l'affection qu'il devait à ses enfants pour être sortis de lui, il se mit à cracher, disant que cela en était aussi bien sorti; que nous engendrions bien des poux et des vers. Et cet autre, que Plutarque voulait induire à s'accorder [se réconcilier] avec son frère : « Je n'en fais pas, dit-il, plus grand état pour être sorti de même trou. » C'est, à la vérité, un beau nom et plein de dilection [attrait] que le nom de frère, et à cette cause en fîmes-nous, lui et moi, notre alliance. Mais ce mélange de biens, ces partages, et que la richesse de l'un soit la pauvreté de l'autre, cela détrempe merveilleusement et relâche cette soudure fraternelle. Les frères ayant à conduire le progrès de leur avancement en même sentier et même train, il est forcé qu'ils se heurtent et choquent souvent. Davantage, la correspondance et relation qui engendre ces vraies et parfaites amitiés, pourquoi se trouvera-t-elle en ceux-ci? Le père et le fils peuvent être de complexion entièrement éloignée, et les frères aussi. C'est mon fils, c'est mon parent, mais c'est un homme farouche, un méchant ou un sot. Et puis, à mesure que ce sont amitiés que la loi et l'obligation naturelle nous commandent, il y a d'autant moins de notre choix et liberté volontaire. Et notre liberté volontaire n'a point de production qui soit plus proprement sienne que celle de l'affection et amitié. Ce n'est pas que je n'aie essayé de ce côté-là tout ce qui en peut être, ayant eu le meilleur père qui fut [pourtant], et le plus indulgent, jusques à son extrême vieillesse, et étant d'une famille fameuse de père en fils, et exemplaires en cette partie de la concorde fraternelle.

• Document 4 : Saturne dévorant un de ses enfants, tableau de Francisco Goya (1746-1828), peint entre 1819 et 1823 

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