Le passage à l'âge adulte : les rites initiatiques, un documentaire à voir.





Consultez la page consacrée à cette notion sur Wikipédia et visionnez:

Rites de passage de J.P. Mirouze, 2004

"Les sociétés traditionnelles organisent des rites de passage célébrant la métamorphose de l'enfant en adulte. Un parallèle est établi entre les rites initiatiques des populations traditionnelles et les phénomènes de métamorphose (piercings, tatouages, bodyhackers) qui touchent les jeunes générations occidentales. Les propos et analyses de l'anthropologue Maurice Godelier, de l'ethnologue et psychologue Lorenzo Brutti et du sociologue David Le Breton s'entrecroisent tout au long du film.
Maurice Godelier donne une définition précise du rite de passage, démontrant quelle est l'ambition de cette initiation. Il explique son rôle fondamental chez les Baruya, ethnie de Papouasie Nouvelle-Guinée, qu'il a étudié durant de nombreuses années. Plusieurs extraits du film "Planète baruya" illustrent ses propos. Il parle de l'origine de ces rites et raconte le mythe de la place des femmes par rapport aux hommes, de leur séparation et de la domination masculine ; il explique le rôle de la sexualité et de la douleur pendant l'initiation.
Lorenzo Brutti parle de l'adolescence dans nos sociétés, moment où se déroulent les phases du passage vers l'âge adulte (de la séparation du groupe à la réintégration dans la société). Ce sont des comportements violents, à risques, marquant un défi avec le danger et la mort (comme le phénomène Jackass) qui s'apparentent à des rites de passage chez ces jeunes.
David Le Breton étudie les comportements des jeunes, qui utilisent leur corps comme lieu de transformation de leur personnalité en pratiquant des tatouages, piercings ou implants sous-cutanés. On retrouve alors le rôle de la souffrance, mais ce changement effectué sur le corps est délibéré et revendiqué. Ce comportement reste, au contraire des rites des sociétés traditionnelles, une marque d'individualisme."



Rites de passage 2/2


Vous pouvez aussi visionner ce documentaire sur le site du CNRS.

Qui sont vraiment les jeunes ? Par les chercheurs du CNRS



Une mine d'articles et de recherches sur le site du CNRS, qui s'interroge :  
Qui sont vraiment les jeunes ?

Les thèmes abordés sont :
- "La longue route vers l'âge adulte " : cette page s'intéresse à la question de l'adolescence en 2009 ; on y trouve également un article sur le rapport à la musique, et un autre sur le logement, en particulier le départ du domicile parental, question traitée avec humour dans le film Tanguy.
Un extrait de cette page :
"La puberté est de tout temps et de tous lieux, mais elle est avant tout «une construction sociale». C'est de l'extrême fin du XIXe siècle, avec le développement de l'enseignement secondaire, « que l'on peut dater la naissance d'un âge adolescent, dit Michel Fize. En “enfermant” ses fils au collège pour mieux les contrôler et les tenir à distance de son propre pouvoir politique et économique, la bourgeoisie a inventé un vrai “nouvel âge” de la vie. Auparavant, les enfants étaient absorbés trop tôt dans le monde du travail pour connaître cet “entre-deux-âges” et devenaient adultes sans transition. Et il a fallu attendre les années 1960 et la massification scolaire pour que l'adolescence devienne une adolescence pour tous : garçons et filles »."

- "Ces jeunes qui flirtent avec les limites" : des pratiques à risque à la délinquance, cette page interroge le lien souvent établi entre la jeunesse et la violence.

Une question importante : Le déclassement des générations

Longtemps, le passage d'une génération à une autre s'est accompagné d'une progression sociale, ce qu'on appelle "l'ascenseur social" ; mais l'ascenseur semble désormais en panne :  non seulement la plupart des jeunes n'accèdent pas  à une situation professionnelle et sociale supérieure à celle de leurs parents, mais un nombre important d'entre eux connaît une "régression" sociale, ne parvenant pas à une situation équivalente à celle de la génération précédente.
C'est une question importante, un sujet d'actualité, et un changement sociologique majeur : ce thème pourrait tout à fait constituer un sujet de synthèse le jour de l'examen!
Je vous invite à lire deux articles sur ce sujet : le premier proposé par l'Observatoire des inégalités, le second par la revue Sciences Humaines.

Si vous avez des questions sur ces articles, n'hésitez pas à les poser en commentaire!


Quand l’ascenseur social descend : les conséquences individuelles et collectives du déclassement social
le 1er juillet 2009
Le déclassement marque nos sociétés qui n’arrivent pas à venir à bout du chômage. Un thème majeur et pourtant oublié de la sociologie. L’analyse de Camille Peugny, maître de conférences en sociologie (Paris VIII) et auteur de Le Déclassement (Grasset).


Tandis que la « panne de l’ascenseur social » occupe régulièrement la « Une » des journaux et que la question du « descenseur » social semble s’imposer comme un enjeu majeur du débat électoral de 2007, la sociologie demeure curieusement assez discrète sur le sujet. Si aux Etats-Unis, sociologues et anthropologues se sont depuis longtemps penchés sur le vécu et les conséquences de la mobilité intergénérationnelle descendante, peu de travaux systématiques ont été menés en France. (…)
Pourtant, en vingt ans, la dynamique de la société française a profondément changé. Dans les années 1970, la France connaît l’aboutissement d’un vaste mouvement de mobilité sociale ascendante. Nés au cours des années 1940 dans des milieux ouvriers ou paysans, les baby-boomers profitent des Trente glorieuses et de la diffusion du salariat moyen et supérieur [1] pour s’élever sensiblement au dessus de la condition de leurs parents. C’est cette génération qui se maintient depuis au sommet de la structure sociale. Au début des années 1980, les 35-39 ans sont ceux qui en moyenne occupent la position la plus favorisée. Vingt ans plus tard, les 35-39 ans figurent tout en bas d’une structure sociale… dominée par les 55-59 ans.
Les générations nées au tournant des années 1960 doivent en effet faire face à l’irruption puis à la persistance de la crise économique, au chômage de masse qui devient une donnée structurelle de l’économie et à une évolution moins favorable de la structure sociale.
Si l’on adopte une perspective historique, la part des individus immobiles (qui demeurent dans le même groupe social que leurs parents) reste remarquablement stable, autour de 38%. Par contre, parmi les individus mobiles, les trajectoires ascendantes deviennent moins nombreuses, alors que les trajectoires descendantes connaissent une augmentation sensible. Pour la génération 1944-1948, le solde de mobilité (construit comme la différence entre la part des trajectoires ascendantes et celle des trajectoires descendantes) approchait les 20 points : il tombe à moins de 7 points pour la génération 1964-1968, et rien n’indique que les courbes connaîtront dans un avenir proche une inflexion significative.
Cette dégradation des perspectives de mobilité sociale est généralisée. Pour les individus issus de milieux populaires, s’élever au-dessus de la condition de ses parents devient de plus en plus difficile et au milieu des années 2000, les enfants d’ouvriers ne sont pas plus nombreux à quitter la classe ouvrière que dans la France des années 1970. Pour les enfants issus de milieux favorisés, les risques de mobilité sociale descendante sont sévèrement accrus : plus d’un enfant de cadre sur quatre nés au tournant des années 1960 occupe, la quarantaine passée, un emploi d’ouvrier ou d’employé.
Au total, concernant la question de l’égalité des chances, il semble qu’il faille conclure à un lent nivellement vers le bas. L’écart entre les enfants de cadre et ceux d’ouvrier en termes d’accès au salariat d’encadrement diminue lentement entre les générations 1944-1948 et 1964-1968, mais les chances de devenir cadre diminuent pour les enfants de toutes les catégories sociales. Pour les enfants des classes populaires, l’ascenseur social est en panne. Pour ceux issus de milieux favorisés, il descend de plus en plus fréquemment.
La génération née une quinzaine d’années après le baby-boom fait figure de génération particulièrement défavorisée. A l’heure du départ à la retraite des baby-boomers, elle est déjà trop ancienne sur le marché du travail et ce sont alors leurs cadets, nés au début des années 1970, qui en bénéficient, les employeurs préférant embaucher de jeunes actifs fraîchement diplômés plutôt que de promouvoir des quadragénaires.
Deux types de vécu
Il n’existe pas d’expérience univoque de la mobilité descendante. Cette dernière voit sa fréquence augmenter, mais elle ne concerne pas avec la même intensité toutes les catégories sociales. Par définition, elle frappe les enfants issus de milieux favorisés puisque pour descendre, il faut venir d’en haut. Mais tous les enfants de cadre ne sont pas logés à la même enseigne. C’est par la transmission du capital culturel (mesuré par le niveau de diplôme dans ce travail) que s’effectue la reproduction de la position de cadre des ascendants. Même parmi les enfants de cadre, l’inégalité des chances scolaires persiste et le niveau de diplôme atteint par les individus est étroitement corrélé au niveau de diplôme du père. Au-delà, il fait identifier un effet « maternel » (les enfants de père cadre dont la mère est cadre également ont une probabilité plus élevé de reproduire la position du père) ainsi qu’un effet « généalogique » (les enfants de cadre dont le grand-père paternel n’était pas ouvrier ont une probabilité plus faible de connaître le déclassement social).
Il faut alors distinguer entre deux types de cadres parmi la génération des pères. Le premier (…) est composé d’individus issus de lignées où la position de cadre est déjà solidement ancrée, très diplômés et souvent mariées avec des femmes également plus diplômées que la moyenne. Ces cadres occupent des emplois qui nécessitent un diplôme initial élevé et exercent souvent des professions libérales ou de l’enseignement. Pour leurs enfants, les risques de mobilité descendante est relativement moins élevé (autour de 20% d’entre eux deviennent employé ou ouvrier). A l’inverse, le second type de cadres est composé des cadres « populaires », issus de milieux modestes qui en dépit d’un diplôme initial peu élevé ont atteint une position de cadre grâce à une mobilité ascendante en cours de carrière. Ils sont plus souvent cadres dans l’industrie et dans le secteur privé, sont souvent mariés avec des femmes inactives ou peu diplômées, et pour leurs enfants, les risques de mobilité descendante sont marqués (près d’un tiers d’entre eux sont employé ou ouvrier).
Selon que l’on soit enfant de cadre « populaire » ou de « dauphin », le déclassement social ne se vit pas de la même manière tant il revêt des significations différentes. Pour les premiers, le vécu peut être qualifié de générationnel tant affleure dans le discours le sentiment d’appartenir à une génération « sacrifiée », qui comparée à celle des ascendants, doit faire face à des perspectives nettement dégradées. Pour eux, la trajectoire descendante s’apparente à un retour à l’histoire « normale » d’une lignée marquée à un moment précis de son histoire par la soudaine mobilité ascendante d’un de ses membres.
Pour les enfants des « dauphins », le vécu se fait sur le mode de l’échec personnel. Nés dans des milieux favorisés, où le capital culturel est élevé, ils ne sont pas parvenus à reproduire la position du père. Le sentiment d’échec personnel domine alors et s’accompagne d’une difficulté à trouver sa place, dans la cellule familiale où prévaut le sentiment d’avoir rompu l’histoire de la lignée, mais aussi dans la société qui renvoie l’image de l’échec et dont on souhaite s’extraire.
Les conséquences politiques de la mobilité descendante
Quel que soit le type de vécu, la mobilité descendante, loin de n’être qu’une construction sociologique, (…) revêt une signification pour les individus. En particulier, ce n’est pas parce que le déclassement s’apparente à un retour à l’histoire « normale » de la lignée pour les enfants de cadres « populaires » qu’il est vécu de manière indolore. Au contraire, il est souvent perçu comme paradoxal et injuste puisque souvent plus diplômés que leurs parents, les individus concernés se trouvent cantonnés à des emplois d’exécution : le sentiment de frustration est fort tant domine l’impression d’avoir été trompé.
Au-delà de ces conséquences individuelles, l’augmentation des trajectoires descendantes revêt également des conséquences collectives. En effet, le sens de la trajectoire intergénérationnelle influence la manière dont on se représente le fonctionnement de la société. Sur le plan du comportement politique, la mobilité descendante se traduit par une recomposition (…) des attitudes. En particulier, la combinaison d’une forte hostilité au libéralisme économique et d’une faible préoccupation de redistribution sociale constitue un résultat relativement nouveau pour la science politique. Les victimes du déclassement social expriment ainsi un net besoin de protection de la part de l’Etat qui va de pair avec un rejet des « exclus » accusés de « profiter du système ».
Coexistent alors désormais au sein du même discours deux types de fragments habituellement opposés. Un fragment de « gauche », très critique du libéralisme économique, et un fragment « libéral », virulent à l’encontre des « assistés » .
Exigence d’un Etat protecteur donc, mais qui protège d’abord ceux qui travaillent. Sur le plan du positionnement partisan, les « déclassés » semblent relativement sensibles au discours de l’extrême droite. Le sentiment de frustration mentionné plus haut, ainsi que la recomposition originale du discours économique et social sont deux éléments que l’on peut avancer pour expliquer cette sensibilité à une extrême droite s’érigeant en défenseur des « petits » et des « sans grade » tout en pourfendant les « assistés ».


Ce texte est issu d’un rapport réalisé pour la Mission recherche (Mire) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ministère des affaires sociales.
Article publié le 22 mars 2007.


[1] Professions intermédiaires et cadres supérieurs notamment




Déclassement généralisé ?
Xavier Molénat
Les jeunes générations sont-elles condamnées à vivre moins bien que leurs parents ? Le débat a été animé au cours de l’été 2009. Dans Le Déclassement, paru début 2009, le sociologue Camille Peugny avait mis en évidence une diminution progressive des chances de mobilité ascendante au fur et à mesure des générations. Les générations nées dans les années 1940 et 1950 sont celles qui ont tiré le plus grand profit des transformations de la structure sociale française et du mouvement d’ouverture de l’école. Mais les perspectives se sont dégradées pour les générations nées à partir de 1960 qui, lors de leur entrée sur le marché du travail, font face à une conjoncture économique dégradée et un chômage croissant (hormis un léger mieux pour les générations nées au tournant des années 1960-1970). Le ratio ascendants/descendants reste toujours positif, mais diminue : il est de 2,2 pour les hommes de 40 ans nés en 1944-1948, de 1,8 pour ceux nés en 1954-1958 et 1,4 pour ceux nés entre 1964 et 1968. Ce qui traduit une « sévère dégradation des perspectives » : «  En 2003, parmi les individus âgés de 35 à 39 ans, 40 % reproduisent la position de leur père, 35 % s’élèvent au-dessus d’elle mais 25 % sont frappés par le déclassement. Parmi les individus du même âge en 1983, les proportions étaient respectivement de 42, 40 et 18 %. » Ainsi, selon C. Peugny, « le destin des enfants des classes populaires (ouvriers et employés) (...) s’est détérioré » entre les générations nées au milieu des années 1940 et celles nées vingt ans plus tard, qui connaissent une mobilité ascendante moins importante (20 % pour ces derniers, contre 27 % pour les premiers). Le diplôme reste la meilleure protection contre le déclassement… Et même celui des parents, et de la mère en particulier : « 66 % des hommes dont le père est cadre et la mère est diplômée du supérieur deviennent cadres à leur tour, contre seulement 30 % de ceux dont la mère n’est pas diplômée. » Reste que l’inflation scolaire conduit certains à subir un double déclassement, scolaire (ils n’obtiennent pas de poste à la hauteur de leur diplôme) et générationnel (ils n’arrivent pas à reproduire la position de leurs parents).
Un rapport du Conseil d’analyse stratégique (CAS), paru en juillet 2009, a voulu apporter un diagnostic plus nuancé de la situation (1). Ses auteurs, reprenant les chiffres de C. Peugny, juge la progression du déclassement incontestable mais modérée. La crainte généralisée du déclassement leur semble en décalage avec la réalité des faits : le solde de la mobilité sociale reste positif, les classes moyennes maintiennent leur position, et le nombre d’emplois qualifiés continue à augmenter. Mais d’autres phénomènes nourrissent l’anxiété : prix du logement, émergence des travailleurs pauvres, progression du surendettement…, phénomènes qui appellent, en effet, l’action des pouvoirs publics.
La réponse de C. Peugny ne s’est pas fait attendre. Dans une tribune du Monde paru quatre jours après le rapport du CAS, il a exprimé son désaccord total avec cette vision (2). D’une part, il a rappelé que les chiffres du déclassement qu’il a établis, et que reprend le CAS, sont des chiffres a minima, qui ne mesurent que des trajectoires fortement descendantes (un fils de cadre devenant ouvrier, par exemple). En intégrant des formes moins brutales de descente sociale, le taux de déclassement des fils de cadre pourrait atteindre non pas 24 % mais 45 %. D’autre part, on ne saurait se contenter de comparer la profession des parents et celle des enfants. La difficulté à acquérir un logement et la fragilisation des contrats de travail qui « interdisent toute projection dans l’avenir » sont autant d’indicateurs du déclassement générationnel. Loin qu’il y ait « un écart entre une réalité nuancée et une perception beaucoup plus sombre », le déclassement, selon C. Peugny, «  constitue bel et bien la réalité vécue par une proportion croissante des jeunes générations, victimes de la précarisation, du chômage de masse et d’une baisse sensible de leur niveau de vie ».
NOTES :
(1) Centre d’analyse stratégique, « La mesure du déclassement. Informer et agir sur les nouvelles réalités sociales », juillet 2009.
(2) Camille Peugny, « Non, la montée du déclassement n’est pas un mythe », Le Monde, 14 juillet 2009

1920-2008 : les 5 générations actuelles



J'ai trouvé une présentation très bien faite de ce sujet sur cette page, à laquelle je vous renvoie. La question des générations X-Y-Z  est en particulier un sujet souvent abordé ces derniers temps, pour ne pas dire un sujet à la mode.
Je prépare une page sur ce thème, mais ce premier lien que je vous donne permet de mettre en place le cadre nécessaire à la réflexion.
Pour ma part, j'appartiens à la génération X ; et vous? vous reconnaissez-vous dans votre génération telle qu'elle est définie ici?

En complément, quelques liens et articles :

- la question des générations du point de vue du Management et des R.H.
- Génération Y 2.0 :  un site de Management consacré à la Génération Y.

Tuer le père : Oedipe - Le complexe d'Oedipe d'après Freud

Oedipe incarne dans l'imaginaire collectif le meurtrier du père et celui qui le remplace comme amant de sa mère, symbole mythique de l'affrontement des générations. Mais quel est exactement ce mythe? Et qu'appelle-t-on le "complexe d'Oedipe"?


Oedipe et le Sphinx, Gustave Moreau, 1864

Le Mythe 


"Dans la mythologie grecque Œdipe est le fils de Laïos et de Jocaste, qui règnent sur Thèbes. Un oracle prédit à Laïos qu'il sera plus tard tué par son fils : plutôt que de le faire périr, il abandonne Œdipe dans la montagne, après avoir pris soin de lui lier les pieds. Mais un berger trouve l'enfant et le confie au roi de Corinthe Polybos, qui l'élève comme son propre fils, sans lui révéler le secret de ses origines, et le nomme Œdipe, celui qui a les pieds enflés.

Un nouvel oracle prédit à Œdipe qu'il sera le meurtrier de son père : ignorant que Polybos n'est pas celui-ci, il quitte Corinthe pour que la prédiction ne puisse se réaliser. Pendant son voyage, il rencontre Laïos et ses serviteurs et tue son vrai père, qu'il prend pour le chef d'une bande de voleurs.
Lorsqu'il arrive à Thèbes, but de son voyage, il ne peut entrer dans la ville : un monstre sanguinaire, le Sphinx, en empêche l'accès, tuant et dévorant tous les voyageurs incapables de résoudre l'énigme qu'il leur propose. Mais Œdipe trouve la solution, et le Sphinx se tue lui-même : Œdipe devient un héros adulé par les habitants de la ville, qui le proclament roi et lui donnent comme femme la veuve de Laïos, Jocaste, qui n'est autre que sa propre mère.

Oedipe et le Sphinx, J.-A. Ingres, 1808



De nombreuses années s'écoulent, pendant lesquelles Œdipe et Jocaste, ignorant leurs véritables liens de parenté, vivent fort heureux. Mais un jour une épidémie de peste s'abat sur Thèbes, et l'oracle de Delphes annonce que cette épidémie durera tant que le meurtrier de Laïos ne sera pas châtié. Œdipe alors fait rechercher le coupable, mais il ne tarde pas à se rendre compte que c'est lui qui a tué Laïos sans savoir que celui-ci était son père.
Quand Jocaste apprend la nouvelle, elle se suicide de désespoir, et Œdipe comprend que leurs enfants, Étéocle, Polynice, Antigone et Ismène sont maudits. Il se crève alors les yeux et renonce à la royauté. Quelques années plus tard, il est chassé de Thèbes ; errant çà et là, accompagné d'Antigone sa fille qui lui sert de guide, il arrive dans un lieu de culte non loin d'Athènes, où l'on vénère les Euménides. C'est là qu'il meurt, juste après qu'Apollon lui a promis que l'endroit de sa mort sera un lie sacré et bénéfique pour Athènes." (source : ac-strasbourg.fr/pedago/lettres)


Commentaire


Contrairement à Cronos ou à Zeus, on voit qu'Oedipe n'a pas conscience de tuer son père, et même, qu'il cherche à échapper au parricide en fuyant Polybos. Ce mythe est donc fondamentalement différent de celui de Cronos-Saturne, et on pourrait même s'interroger sur son lien avec la question des générations : pour Jean-Pierre Vernant (1914-2007), historien et spécialiste des mythes grecques, ce mythe pose d'abord et essentiellement la question de l'identité et de la culpabilité, bien que la malédiction d'Oedipe réside dans le fait qu'il a "brouillé" les générations et donc l'ordre naturel des choses : "On brouille toutes les générations humaines et on comprend alors que sa présence à Thèbes fasse qu’il n’y a plus de saisons, qu’il n’y a plus de rythme temporel où après l’hiver c’est le printemps, c’est l’été, c’est l’automne. L’été de l’homme, c’est le moment où il est à deux pieds. L’automne et l’hiver c’est le moment où il est à trois pieds et le printemps, c’est quand il est à quatre pieds. Il a tout brouillé. Maintenant, il n’y a plus de saisons Thèbes, c’est la pagaille, c’est le chaos temporel. Il a été cela. Et on voit que cet homme qui savait tout est aussi énigmatique que l’homme que représente Œdipe. Il est énigmatique, on ne sait pas ce que nous sommes. Sa faute, il est coupable du crime le plus grand, de la souillure la plus grande : coucher avec sa mère, tuer son père." (Jean-Pierre Vernant,"Les grands entretiens", 2 mai 2002)

Si la figure d'Oedipe paraît étroitement liée à la question des générations, c'est à cause de l'interprétation qu'en donna Freud, et de la théorie qu'il élabora à partir de ce mythe.
Bien que cette théorie ait été depuis controversée et souvent critiquée, elle n'en demeure pas moins célèbre et souvent citée et utilisée ; c'est pourquoi il convient de la connaître.

Tuer le père : le complexe d'Oedipe d'après Freud

Selon Freud, la mère est le premier objet de l'amour et du désir de l'enfant, car c'est elle qui satisfait, en le nourrissant, toutes ses envies et ses désirs dès la naissance."L'enfant établit un lien étroit entre la satisfaction de ses besoins et l'amour de sa mère : ses besoins ne seront satisfaits que pour autant qu'il est aimé de sa mère, et pour en être aimé il lui faut se conformer à ses exigences et à ses désirs. Sa plus grande angoisse est qu'un tel lien puisse être détruit [...] C'est dans ce contexte que vient prendre place le personnage du père. Il y apparaît comme un troisième terme qui s'introduit en gêneur pour l'enfant dans la relation à deux avec la mère, et qui en compromet le caractère exclusif. L'enfant s'aperçoit qu'il n'est pas tout pour sa mère, qu'il ne peut pas prétendre à posséder seul son intérêt et son amour." (G.P. Brabant, Clefs pour la psychanalyse, 1970) Pour le garçon, "en outre, côte à côte avec les sentiments positifs, l'affection et l'admiration qu'il voue éventuellement à son père, existent des sentiments hostiles et des souhaits de mort à son endroit, issus de la rivalité relative à la mère." (Brabant, op. cit.). Par ailleurs, le garçon doit en même temps construire son identité sexuelle, sa masculinité, en s'identifiant au père tout autant qu'il le jalouse et le rejette.

Ainsi, nous pouvons dire que la théorie de Freud considère comme fondamental le "conflit des générations" : selon lui, le garçon doit symboliquement éliminer le père et prendre sa place pour pouvoir devenir adulte et père à son tour.

Tuer le père : le mythe de Saturne-Cronos


Saturne dévorant ses enfants, Goya, 1820


Le mythe de Cronos (Saturne chez les Romains) s'inscrit dans un ensemble de mythes du parricide (meurtre du père) ; dans ce mythe, la naissance du fils est soumise à l'élimination du père : c'est en supprimant la génération précédente qu'une nouvelle génération accède au monde et au pouvoir.
Il est cependant intéressant de remarquer qu'on trouve également dans ce mythe une reproduction des générations :  après avoir éliminé son père, Cronos est à son tour éliminé par son propre fils ; et il reproduit le comportement de son père alors même que c'est ce comportement qui avait entraîné le parricide. Seul Zeus parvient à mettre fin au cycle d'élimination-reproduction, en instaurant un nouveau mode de pouvoir.

Résumé du mythe


"Fils d'Ouranos (le Ciel) et Gaïa (la Terre), Cronos appartient à la première génération des dieux ; il est le plus jeune des Titans, les douze enfants divins possédant une apparence normale.
Homère et Hésiode le nomment « le dieu aux pensers fourbes » ou « à l'esprit retors ». Hésiode ajoute qu'il hait son père, lequel voue les mêmes sentiments à ses enfants, sans que l'on sache si cela s'applique seulement à ses enfants difformes — les Cyclopes et les Hécatonchires — ou à l'ensemble de sa progéniture. Dès leur naissance, il les emprisonne dans le sein de leur mère. Furieuse, Gaïa fabrique une faucille en acier et demande à ses enfants de l'aider à se venger, mais seul Cronos répond à l'appel. Placé en embuscade, il attaque Ouranos alors que celui-ci vient se coucher avec Gaïa, et de sa faux, lui tranche les testicules, qu'il jette à la mer. Ouranos leur donne alors le nom de « Titans » parce que, précise Hésiode, ils ont tendu le bras trop haut et parce que l'avenir saura en tirer vengeance. Ouranos et Gaïa avertissent également Cronos qu'il sera détrôné à son tour par son propre fils.
Hésiode n'indique pas que Cronos assume le pouvoir à la mort de son père, même s'il mentionne par ailleurs qu'il règne parmi les Immortels. En revanche, des sources plus tardives indiquent qu'une fois libérés, les Titans accordent le trône à leur frère, dont la première mesure est de jeter dans les profondeurs du Tartare ses frères difformes, les Cyclopes et les Hécatonchires.


Cronos épouse sa sœur Rhéa. N'oubliant pas la prophétie de ses parents, il dévore chacun de ses enfants au fur et à mesure qu'ils naissent : Hestia, Déméter et Héra, puis Hadès et Poséidon sont ainsi avalées par Cronos. Lorsque arrive le sixième, Rhéa, sur le conseil de sa mère Gaïa, cache l'enfant en Crète et le remplace par une pierre que Cronos engloutit directement.
L'enfant ainsi épargné est Zeus. Il grandit loin de ses parents, et une fois parvenu à l'âge adulte, veut libérer ses frères et sœurs. Avec Gaïa, il s'arrange pour les faire recracher à son père — Hésiode ne précise pas comment, mais des sources tardives précisent que c'est Métis, déesse de la ruse, qui offre à Cronos un émétique [vomitif]. Celui-ci vomit alors tout ce qu'il avait ingurgité jusque là, y compris la pierre qui l'a abusé, que Zeus place ensuite à Delphes. Une variante orphique veut que, sur suggestion de Nyx, Cronos ait été drogué avec du miel, attaché puis castré à son tour. En tout état de cause, il finit jeté dans le Tartare, tandis que Zeus Déméter, Hestia, Héra, Poséidon et Hadès gagnent les cimes du mont Olympe.
Zeus libère les Hécatonchires et les Cyclopes du Tartare et, en récompense, reçoit de ces derniers le trait de foudre, qui lui sert à vaincre les Titans." (source: wikipedia)

Détours de l'initiation : Le Roman d'apprentissage

Le roman d'apprentissage fait du détour  non seulement le motif essentiel du récit mais aussi son moteur : c'est à travers les détours qu'empruntent la vie et le parcours du personnage que se construit l'intrigue, et que le personnage se construit lui-même.

"Le roman d'apprentissage, ou roman de formation est un genre littéraire romanesque né en Allemagne au XVIIIe siècle (à ne pas confondre avec le roman de jeunesse). On parle aussi de roman initiatique et, par ailleurs, de conte initiatique. En allemand, le roman de formation est nommé Bildungsroman. Ce terme est dû au philologue allemand Johann Carl Simon Morgenstern qui voyait dans le Bildungsroman « l'essence du roman par opposition au récit épique ».
Un roman d'apprentissage a pour thème le cheminement évolutif d'un héros, souvent jeune, jusqu'à ce qu'il atteigne l'idéal de l'homme accompli et cultivé. Le héros découvre en général un domaine particulier dans lequel il fait ses armes. Mais en réalité, c'est une conception de la vie en elle-même qu'il se forge progressivement. En effet, derrière l'apprentissage d'un domaine, le jeune héros découvre les grands événements de l'existence (la mort, l'amour, la haine, l'altérité, pour prendre quelques exemples)." (source : Wikipédia)

Dans le roman d'apprentissage, le détour remplit une fonction initiatique ; le détour est bien entendu ici positif, se perdre permet de se trouver.

Vous avez forcément déjà lu un roman d'apprentissage ; voici quelques indications bibliographiques, qui permettront de nourrir votre "banque d'exemples" pour l'expression personnelle...



Perceval ou le Conte du Graal, Chrétien de Troyes, 1181

Vous trouverez ici une analyse assez complète de la structure de ce récit en tant que "roman d'apprentissage"


Arthur Hacker, The Temptation of Sir Percival, 1894












Ecoutez ici l'incipit...

Un extrait célèbre (III, 6) : 


 Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours, encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit avaient également diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur.
Vers la fin de mars 1867, à la nuit tombante, comme il était seul dans son cabinet, une femme entra.

Bel Ami, Maupassant, 1885


Le parcours d'un séducteur, qui réussira grâce aux femmes...



Marguerite Duras, Un Barrage contre le Pacifique, 1950


 


Ce roman d'inspiration autobiographique se déroule en Indochine dans les années 1930 ; il nous raconte l'émancipation de Suzanne et de son frère Joseph, prisonniers de la folie de leur mère et de la misère, une misère qui amène d'ailleurs la mère et Joseph à tenter de "vendre" Suzanne ; ce mariage d'argent constitue le fil conducteur de l'intrigue. Ce roman peut également s'inscrire dans le thème "Génération(s)".


Le Film a été adapté en 2008 par Rithy Panh :














Marguerite Duras, L'Amant, 1984



En 1984, Duras revient sur les motifs du Barrage de manière plus ouvertement autobiographique

Extraits :


"L'histoire de ma vie n'existe pas. ça n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y avait personne.

Je n'ai jamais écrit, croyant le faire, je n'ai jamais aimé, croyant aimer, je n'ai jamais rien fait qu'attendre devant la porte fermée.

Je me suis dit qu'on écrivait toujours sur le corps mort du monde et, de même, sur le corps mort de l'amour."


"Dans les histoires de mes livres qui se rapportent à mon enfance, je ne sais plus tout à coup ce que j'ai évité de dire, ce que j'ai dit, je crois avoir dit l'amour que l'on portait à notre mère mais je ne sais pas si j'ai dit la haine qu'on lui portait aussi et l'amour qu'on se portait les uns aux autres, et la haine aussi, terrible, dans cette histoire commune de ruine et de mort qui était celle de cette famille dans tous les cas, dans celui de l'amour comme dans celui de la haine et qui échappe encore à tout mon entendement, qui m'est encore inaccessible, cachée au plus profond de ma chair, aveugle comme un nouveau-né au premier jour. Elle est le lieu au seuil de quoi le silence commence. Ce qui s'y passe c'est justement le silence, ce lent travail pour toute ma vie. "

  "L’homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre d’homme et aux chaussures d’or. Il vient vers elle lentement. C’est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas tout d’abord. Tout d’abord  il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Il y a cette différence de race, il n’est pas blanc, il doit la surmonter, c’est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu’elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d’autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille. Alors il a moins peur. Alors il lui dit qu’il croit rêver. Elle ne répond pas. Ce n’est pas la peine qu’elle réponde, que répondrait-elle. Elle attend. Alors il lui demande : mais d’où venez-vous ? Elle dit qu’elle est la fille de l’institutrice de l’école de filles de Sadec. Il réfléchit et puis il dit qu’il a entendu parler de cette dame, sa mère, de son manque de chance avec cette concession  qu’elle aurait achetée au Cambodge, c’est bien ça n’est-ce pas ? Oui c’est ça.
      Il répète que c’est tout à fait extraordinaire de la voir sur ce bac. Si tôt le matin, une jeune fille belle comme elle l’est, vous ne  vous rendez pas compte, c’est très inattendu, une jeune fille blanche dans un car indigène.
      Il lui dit que le chapeau lui va bien, très bien même, que c’est … original… un chapeau d’homme, pourquoi pas ? elle est si jolie, elle peut tout se permettre.
      Elle le regarde. Elle lui demande qui il est. Il lui dit qu’il revient de Paris où il a fait ses études, qu’il habite Sadec lui aussi, justement sur le fleuve, la grande maison bleue avec les grandes terrasses aux balustrades de céramique bleue.
"

Le roman a été adapté par J.J. Annaud en 1992, mais Duras a renié cette adaptation.


Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise, Dai Sijie, 2000




Un joli roman, très accessible, qui raconte le parcours de trois adolescents dans la Chine de Mao et leur émancipation grâce à la lecture de livres interdits.

Le roman a été adapté par l'auteur lui-même en 2002.

Le Détour en Peinture : jeux de miroirs









Le célèbre miroir s'inscrivant au coeur du Portrait des époux Arnolfini constitue une prouesse artistique, une expérimentation picturale à une époque où s'invente la perspective ; mais il ne s'agit pas là de sa seule modernité : il s'agit d'un bouleversement artistique, qui déplace les lignes de vision traditionnelles et l'espace de la toile ; dans une mise en abyme, le spectateur pénètre à l'intérieur du tableau et se regarde lui-même regardant la scène, à travers le reflet du troisième personnage dans le miroir, qui occupe la position du peintre mais aussi celle du spectateur. Comme souvent, l'intérêt du tableau se situe dans le détour du regard, qui parvient à dépasser le premier plan pour explorer les profondeurs cachées.

Ce thème du miroir connaîtra bien des variations fécondes. Plus de 400 ans plus tard, Edouard Manet joue aussi avec le reflet.



Un bar aux Folies Bergère, Manet, 1881


Le reflet et la pespective sont ici "truqués" : la serveuse, vue de face, devrait nous cacher son propre reflet. Pourquoi ce détour? Pourquoi nous permettre de voir celui qui se reflète à droite du tableau? Et qui est-il? Le peintre? Le spectateur? Ces questions, malgré des débats passionnés, n'ont pas trouvé de réponse : le détour encore une fois paraît plus riche, plus fécond, que le sens et la vision qui seraient directement donnés...


Le même dispositif apparaît dans le célèbre tableau de Velasquez, Les Ménines (1656).  Sur ce tableau, le peintre, entouré des filles d'honneur ("les ménines")  se représente en train de peindre le portrait du roi et de la reine dont le reflet apparaît dans le miroir du fond... ce qui correspond à la place à laquelle se tient le spectateur. Et le peintre, qui regarde-t-il?



 


 La toile en train d'être peinte n'est pas visible chez Velasquez ; elle l'est dans ce Triple autoportrait de Norman Rockwell (1960), qui constitue une célèbre mise en abyme :




 C'est également autour de ce thème du miroir que s'organise l'une des salles de la belle exposition Rivalités à Venise, visible au Louvre jusqu'au 04 janvier 2010. On peut y admirer en particulier le tableau du Tintoret, Suzanne et les vieillards, où le miroir redouble le regard du voyeur ; mais le spectateur ne l'est-il pas aussi, voyeur?
Je vous invite à consulter ici la page que consacre le musée à cette salle...


Le Tintoret, Suzanne et les vieillards , 1555

Générations à pleins tubes





Il suffit d'observer la pléthore de compilations consacrées à une décennie particulière pour saisir le lien particulier qui unit, de nos jours, musique et sentiment d'appartenance à une génération.

La chanson "Rockollection" de Voulzy (1977) témoigne bien de cette imbrication des souvenirs personnels de jeunesse et des bribes de tubes de l'époque...



Pourtant, en effectuant une simple recherche sur Google Image, l'on s'aperçoit que ces compilations "rétro" ne remontent guère au-delà des années 60, hormis quelques éditions plus spécialisées : à votre avis, comment pourrait-on l'interpréter? Je vous laisse y réfléchir, et éventuellement proposer vos pistes de réponses en commentaire : je suis certaine que cette petite réflexion nous en apprendra beaucoup sur la notion de générations à notre époque...





La question des générations a également inspiré bien des chansons. Je vous propose ici une petite discographie évolutive, que je mettrai à jour au fur et à mesure de mes trouvailles : là encore n'hésitez pas à faire des suggestions... Je joins le texte des chansons à la suite.




En complément de "vingt ans" par Ferré, j'ajoute la magnifique reprise qui en a été faite par Zebda: une preuve que les générations ne s'opposent pas toujours, et que la "génération des 20 ans" reste là-même... à travers les générations!
Voici encore de quoi problématiser cette notion!








Ferré, "Vingt ans" (1969) :

Pour tout bagage on a vingt ans
On a l'expérience des parents
On se fout du tiers comme du quart
On prend l'bonheur toujours en r'tard
Quand on aime c'est pour toute la vie
Cette vie qui dure l'espace d'un cri
D'une permanente ou d'un blue-jean
Et pour le reste on imagine
Pour tout bagage on a sa gueule
Quand elle est bath ça va tout seul
Quand elle est moche on s'habitue
On s'dit qu'on n'est pas mal foutu
On bat son destin comme les brêmes
On touche à tout on dit "je t'aime"
Qu'on soit d'la Balance ou du Lion
On s'en balance on est des lions
Pour tout bagage on a vingt ans
On a des réserves de printemps
Qu'on jett'rait comme des miettes de pain
À des oiseaux sur le chemin
Quand on aime c'est jusqu'à la mort
On meurt souvent et puis on sort
On va griller une cigarette
L'amour ça s'prend et puis ça s'jette
Pour tout bagage on a sa gueule
Qui cause des fois quand on est seul
C'est ç'qu'on appelle la voix du d'dans
Ça fait parfois un d'ces boucans
Pas moyen de tourner l'bouton
De cette radio on est marron
On passe à l'examen de minuit
Et quand on pleure on dit qu'on rit
Pour tout bagage on a vingt ans
On a une rose au bout des dents
Qui vit l'espace d'un soupir
Et qui vous pique avant d'mourir
Quand on aime c'est pour tout ou rien
C'est jamais tout c'est jamais rien
Ce rien qui fait sonner la vie
Comme un réveil au coin du lit
Pour tout bagage on a sa gueule
Devant la glace quand on est seul
Qu'on ait été chouette ou tordu
Avec les ans tout est foutu
Alors on maquille le problème
On s'dit qu'y'a pas d'âge pour qui s'aime
Et en cherchant son cœur d'enfant
On dit qu'on a toujours vingt ans

Brel, "Au suivant" (1964) :


Cette chanson se réfère au service militaire, qui constitua un rite initiatique de passage à l'âge adulte pour de nombreuses générations...

Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J'avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant, au suivant
J'avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
A être le suivant de celui qu'on suivait
Au suivant, au suivant
J'avais juste vingt ans et je me déniaisais
Au bordel ambulant d'une armée en campagne
Au suivant, au suivant

Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps
Mais au suivant, au suivant
Ce n'fut pas Waterloo mais ce n'fut pas Arcole
Ce fut l'heure où l'on r'grette d'avoir manqué l'école
Au suivant, au suivant
Mais je jure que d'entendre cet adjudant d'mes fesses
C'est des coups à vous faire des armées d'impuissants
Au suivant, au suivant

Je jure sur la tête de ma première vérole
Que cette voix depuis je l'entends tout le temps
Au suivant, au suivant
Cette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcool
C'est la voix des nations et c'est la voix du sang
Au suivant, au suivant
Et depuis chaque femme à l'heure de succomber
Entre mes bras trop maigres semble me murmurer :
"Au suivant, au suivant"

Tous les suivants du monde devraient s'donner la main
Voilà ce que la nuit je crie dans mon délire
Au suivant, au suivant
Et quand je n'délire pas, j'en arrive à me dire
Qu'il est plus humiliant d'être suivi que suivant
Au suivant, au suivant
Un jour je m'f'rai cul-de-jatte ou bonne sœur ou pendu
Enfin un d'ces machins où je n's'rai jamais plus
Le suivant, le suivant

Brel, "Les bourgeois" (1961) :

Le coeur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait boire nos vingt ans
Jojo se prenait pour Voltaire
Et Pierre pour Casanova
Et moi moi qui étais le plus fier
Moi moi je me prenais pour moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant

Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient...

Le coeur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait brûler nos vingt ans
Voltaire dansait comme un vicaire
Et Casanova n'osait pas
Et moi moi qui restait le plus fier
Moi j'étais presque aussi saoul que moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant

Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient...

Le coeur au repos
Les yeux bien sur terre
Au bar de l'hôtel des "Trois Faisans"
Avec maître Jojo
Et avec maître Pierre
Entre notaires on passe le temps
Jojo parle de Voltaire
Et Pierre de Casanova
Et moi moi qui suis resté le plus fier
Moi moi je parle encore de moi
Et c'est en sortant vers minuit Monsieur le Commissaire
Que tous les soirs de chez la Montalant
De jeunes "peigne-culs" nous montrent leur derrière
En nous chantant

Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux et plus ça devient bête
Disent-ils Monsieur le commissaire
Les bourgeois
Plus ça devient vieux et plus ça devient...

Brassens, "Boulevard du temps qui passe" (1976) :

A peine sortis du berceau
Nous sommes allés faire un saut
Au boulevard du temps qui passe
En scandant notre "Ça ira"
Contre les vieux, les mous, les gras
Confinés dans leurs idées basses.

On nous a vus, c'était hier
Qui descendions, jeunes et fiers
Dans une folle sarabande
En allumant des feux de joie
En alarmant les gros bourgeois
En piétinant leurs plates-bandes.

Jurant de tout remettre à neuf
De refaire quatre-vingt-neuf
De reprendre un peu la Bastille
Nous avons embrassé, goulus
Leurs femmes qu'ils ne touchaient plus
Nous avons fécondé leurs filles.

Dans la mare de leurs canards
Nous avons lancé, goguenards
Force pavés, quelle tempête
Nous n'avons rien laissé debout
Flanquant leurs credos, leurs tabous
Et leurs dieux, cul par-dessus tête.

Quand sonna le cessez-le-feu
L'un de nous perdait ses cheveux
Et l'autre avait les tempes grises.

Nous avons constaté soudain
Que l'été de la Saint-Martin
N'est pas loin du temps des cerises.

Alors, ralentissant le pas
On fit la route à la papa
Car, braillant contre les ancêtres
La troupe fraîche des cadets
Au carrefour nous attendait
Pour nous envoyer à Bicêtre.

Tous ces gâteux, ces avachis
Ces pauvres sépulcres blanchis
Chancelant dans leur carapace
On les a vus, c'était hier
Qui descendaient jeunes et fiers
Le boulevard du temps qui passe.

Saez, "Jeune et con" (2001) :

Encore un jour se lève sur la planète France
Et je sors doucement de mes rêves je rentre dans la danse
Comme toujours il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour
Je me suis encore couché trop tard je me suis rendu sourd encore

Encore une soirée où la jeunesse France
Encore elle va bien s'amuser puisqu'ici rien n'a de sens
Alors elle va danser faire semblant d'être heureux
Pour aller gentiment se coucher mais demain rien n'ira mieux

Puisqu'on est jeune et con
Puisqu'ils sont vieux et fous
Puisque des hommes crèvent sous les ponts
Mais ce monde s'en fout
Puisqu'on n'est que des pions
Contents d'être à genoux
Puisque je sais qu'un jour nous gagnerons à devenir fous

Encore un jour se lève sur la planète France
Mais j'ai depuis longtemps perdu mes rêves je connais trop la danse
Comme toujours il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour
Mais je sais qu'on est quelques milliards à chercher l'amour encore

Encore une soirée où la jeunesse France
Encore elle va bien s'amuser dans cet état d'urgence
Alors elle va danser faire semblant d'exister
Qui sait si l'on ferme les yeux on vivra vieux ?

Puisqu'on est jeune et con
Puisqu'ils sont vieux et fous
Puisque des hommes crèvent sous les ponts
Mais ce monde s'en fout
Puisqu'on n'est que des pions
Contents d'être à genoux
Puisque je sais qu'un jour nous nous aimerons
Comme des fous

Encore un jour se lève sur la planète France
Et j'ai depuis longtemps perdu mes rêves je connais trop la danse
Comme toujours il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour
Mais je sais qu'on est quelques milliards à chercher l'amour

The Who, "My Generation "  (et traduction) :

My Generation (Ma Génération)


People try to put us d-down (Talkin' 'bout my generation)   
Les gens essaient de nous rabaisser ( parlant d'ma génération)
Just because we get around (Talkin' 'bout my generation)   
Juste parce que nous roulons notre bosse ( parlant d'ma génération)
Things they do look awful c-c-cold (Talkin' 'bout my generation)     
Les choses qu'ils font semblent effroyablement déprimantes ( parlant d'ma génération)
I hope I die before I get old (Talkin' 'bout my generation)     
J'espère mourir avant d'être vieux ( parlant d'ma génération)

This is my generation    C'est ma génération
This is my generation, baby    C'est ma génération, bébé


Why don't you all f-fade away (Talkin' 'bout my generation)     
Pourquoi ne disparaissez vous pas tous? ( parlant d'ma génération)
And don't try to dig what we all s-s-say (Talkin' 'bout my generation)     
Et n'essayez surtout pas de piger ce qu'on dit tous ( parlant d'ma génération)
I'm not trying to cause a big s-s-sensation (Talkin' 'bout my generation)     
Là je ne cherche pas à faire une grosse impression ( parlant d'ma génération)
I'm just talkin' 'bout my g-g-g-generation (Talkin' 'bout my generation)
Je parle seulement de ma génération ( parlant d'ma génération)

Détours de l'amour : la Carte du Tendre

Max Ernst, "Le jardin de la France", 1962


Cliquez sur la carte pour l'agrandir

"La Carte de Tendre est la carte d’un pays imaginaire appelé «Tendre» inspiré par Clélie, Histoire romaine de Madeleine de Scudéry, imaginé au XVIIe siècle par différentes personnalités dont Catherine de Rambouillet. On retrouve tracées, sous forme de villages et de chemins, dans cette "représentation topographique et allégorique", les différentes étapes de la vie amoureuse selon les Précieuses de l’époque. On attribue à François Chauveau la gravure de cette carte figurant en illustration dans la première partie de Clélie, Histoire romaine.

Tendre est le nom du pays ainsi que de ses trois villes capitales. Tendre a un fleuve, Inclination, rejoint à son embouchure par deux rivières, Estime et Reconnaissance. Les trois villes de Tendre, Tendre-sur-Inclination, Tendre-sur-Estime et Tendre-sur-Reconnaissance sont situées sur ces trois cours d’eau différents. Pour aller de Nouvelle-Amitié à Tendre-sur-Estime, il faut passer par le lieu de Grand-Esprit auquel succèdent les agréables villages de Jolis-vers, Billet-galant et Billet-doux. Dans cette sorte de géographie amoureuse, le fleuve Inclination coule tranquillement car il est domestiqué tandis que la Mer est dangereuse car elle représente les passions. La seule Passion positive est celle qui la source de nobles sentiments que l’homme peut éprouver. Le lac d’Indifférence représente l’ennui." (source : wikipedia)


Découvrez la playlist moustaki avec Georges Moustaki



"La Carte du Tendre", Georges Moustaki

Le long du fleuve qui remonte
Par les rives de la rencontre
Aux sources d'émerveillement
On voit dans le jour qui se lève
S'ouvrir tout un pays de rêve
Le tendre pays des amants
On part avec le cœur qui tremble
Du bonheur de partir ensemble
Sans savoir ce qui nous attend
Ainsi commence le voyage
Semé d'écueils et de mirages
De l'amour et de ses tourments

Quelques torrents de médisance
Viennent déchirer le silence
Essayant de tout emporter
Et puis on risque le naufrage
Lorsque le vent vous mène au large
Des îles d'infidélité
Plus loin le courant vous emporte
Vers les rochers de la discorde
Et du mal à se supporter
Enfin la terre se dénude
C'est le désert de l'habitude
L'ennui y a tout dévasté

Quand la route paraît trop longue
Il y a l'escale du mensonge
L'auberge de la jalousie
On y déjeune de rancune
Et l'on s'enivre d'amertume
L'orgueil vous y tient compagnie
Mais quand tout semble à la dérive
Le fleuve roule son eau vive
Et l'on repart à l'infini
Où l'on découvre au bord du Tendre
Le jardin où l'on peut s'étendre
La terre promise de l'oubli


Cette représentation traditionnelle a été détournée par BNP Paribas : du tendre au trader, voici un détour auquel je n'aurais pas pensé... Mais la valeur du détour est-elle alors la même? Autant l'amour se nourrit d'attentes et d'exploration, autant la spéculation relève ici plus des détours de la stratégie et de la ruse... Et n'attend-t-on pas du trader une certaine efficacité, rapidité?



Aventures



Aventure
:
Du latin vulgaire adventura (« ce qui doit arriver »), neutre pluriel substantivé (et compris comme féminin singulier) du participe futur de advenire (« arriver, se produire » → voir advenir). D’où le sens, en ancien français de « sort, destin », aujourd’hui désuet sauf dans la locution bonne aventure.



Sans détour, pas d'aventure... C'est d'ailleurs l'une des connotations premières du mot : l'aventure survient hors des sentiers balisés, elle s'offre à celui qui "part à l'aventure", sans but, sans trajectoire déterminée.
Elle est celle qui fonde le héros et le révèle ; ceci apparaît clairement dans cette réponse de Calogrenant, dans Yvain ou le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes (1176) :


- Je sui, fet il, uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis;
Assez ai quis, et rien ne truis.
-Et que voldroies tu trover?
-Avanture, por esprover
Ma proesce et mon hardemant.
Or te pri et quier et demant,
Se tu sez, que tu me consoille
Ou d'aventure ou de mervoille.

"Je suis, dit-il, un chevalier qui recherche ce que je ne puis trouver ; j'ai beaucoup cherché, et rien ne trouvai .
- Et que voudrais-tu trouver?
- L'aventure, pour mettre à l'épreuve ma vaillance et mon audace. Aussi je te prie, te supplie, te demande de me donner des indications sur une aventure ou une chose extraordinaire dont tu aurais connaissance."

C'est l'aventure aussi qui crée le récit : sans détour et sans péripétie, pas d'histoire, pas de gloire, pas de héros, comme nous le rappelle Wace dans ces vers célèbres du Roman de Brut (1155) :

En cele grant pes que je di,
Ne sai se vos l'avez oï,
Furent les merveilles provees
Et les aventures trovees
Qui d'Artur sont tant recontees
Que a fables sont atornees.

Dans ce grand pays dont je vous parle [l'Angleterre] - je ne sais pas si vous en avez entendu parler- les merveilles furent prouvées, et les aventures trouvées, celles qui au sujet d'Arthur sont tellement racontées qu'elles sont devenues des légendes.

Le Héros est donc celui qui prend le risque du Détour et de ses dangers.
Lors de son voyage au royaume des morts (sur lequel je vous prépare une page), Dante rencontre l'âme d'Ulysse, puni pour avoir franchi les bornes du monde des hommes. Après son Odyssée, il n'est pas resté auprès de Pénélope, il a repris la mer, est reparti à l'aventure, s'est relancé dans le détour : magnifique définition de l'héroïsme de l'aventurier.


Dante, La Divine Comédie, "L'Enfer", chant XXVI :

« Ayant abandonné Circé, qui plus d'un an
me retint dans ses rets, là-bas, près de Gaète
(qui n'avait pas ce nom, imposé par Énée),

ni le très grand amour que j'avais pour mon fils,
ni l'amour filial, ni la foi conjugale
qui devait rendre heureux le cœur de Pénélope

n'ont été suffisants pour vaincre en moi la soif
que j'avais de savoir tous les secrets du monde,
tous les vices de l'homme, ainsi que ses vertus.

Je repris donc la mer et partis vers le large,
avec un seul navire et la petite troupe
qui n'avait pas voulu m'abandonner alors.

J'ai couru les deux bords jusqu'au bout de l'Espagne,
la côte du Maroc et l'île de Sardaigne
et les autres pays qu'entoure cette mer.

Mes compagnons et moi, nous étions vieux et las
au moment d'arriver à cet étroit passage
qu'Hercule au temps jadis signala de ses bornes,

pour dire que personne au-delà ne s'avance ;
nous avions dépassé Séville à notre droite,
après avoir laissé Ceuta sur notre gauche.

« Mes frères, dis-je alors, après cent mille écueils,
nous voici parvenus au bout de l'Occident !
Mais ce bref lumignon du soir de notre vie,

mais ce souffle dernier qui nous demeure encore,
pourront-ils reculer, devant la découverte
qui nous attend, à l'ouest, du monde sans humains ?

Considérez plutôt vos nobles origines :
car vous n'êtes pas faits à l'image des bêtes
mais conçus pour aimer la science et le bien ! »

J'avais, par ce discours, rendu mes compagnons
tellement désireux de me suivre partout,
que je n'aurais plus su comment les retenir.

Tournant la poupe alors du côté du matin,
pour notre vol de fous les rames furent ailes,
et nous voguions à l'ouest en prenant sur la gauche.

Déjà la nuit venait nous montrer les étoiles
d'un pôle différent, le nôtre étant si bas,
qu'il ne surgissait plus des profondeurs de l'eau.

Cinq fois s'est allumée et cinq fois s'est éteinte
la face de la lune où l'on voit la lumière,
depuis que nous glissions sur l'immense Océan,

lorsque sur l'horizon nous avons aperçu
un grand mont noir au loin, qui paraissait plus haut
que toutes les hauteurs que j'avais déjà vues.

Nous criâmes de joie, et bientôt de douleur,
car un orage vint de la terre nouvelle
et s'abattit soudain sur l'avant de la nef.

Il la fit tournoyer trois fois sur l'eau mouvante ;
à la quatrième fois il souleva la poupe,
comme un autre voulait, submergeant notre proue,

jusqu'à ce que la mer se refermât sur nous. »

Ce sont ces vers que cite Godard lors de la scène de projection des rushs dans Le Mépris :