Oedipe incarne dans l'imaginaire collectif le meurtrier du père et celui qui le remplace comme amant de sa mère, symbole mythique de l'affrontement des générations. Mais quel est exactement ce mythe? Et qu'appelle-t-on le "complexe d'Oedipe"?
Oedipe et le Sphinx, Gustave Moreau, 1864
Le Mythe
"Dans la mythologie grecque Œdipe est le fils de Laïos et de Jocaste, qui règnent sur Thèbes. Un oracle prédit à Laïos qu'il sera plus tard tué par son fils : plutôt que de le faire périr, il abandonne Œdipe dans la montagne, après avoir pris soin de lui lier les pieds. Mais un berger trouve l'enfant et le confie au roi de Corinthe Polybos, qui l'élève comme son propre fils, sans lui révéler le secret de ses origines, et le nomme Œdipe, celui qui a les pieds enflés.
Un nouvel oracle prédit à Œdipe qu'il sera le meurtrier de son père : ignorant que Polybos n'est pas celui-ci, il quitte Corinthe pour que la prédiction ne puisse se réaliser. Pendant son voyage, il rencontre Laïos et ses serviteurs et tue son vrai père, qu'il prend pour le chef d'une bande de voleurs.
Lorsqu'il arrive à Thèbes, but de son voyage, il ne peut entrer dans la ville : un monstre sanguinaire, le Sphinx, en empêche l'accès, tuant et dévorant tous les voyageurs incapables de résoudre l'énigme qu'il leur propose. Mais Œdipe trouve la solution, et le Sphinx se tue lui-même : Œdipe devient un héros adulé par les habitants de la ville, qui le proclament roi et lui donnent comme femme la veuve de Laïos, Jocaste, qui n'est autre que sa propre mère.
Oedipe et le Sphinx, J.-A. Ingres, 1808
De nombreuses années s'écoulent, pendant lesquelles Œdipe et Jocaste, ignorant leurs véritables liens de parenté, vivent fort heureux. Mais un jour une épidémie de peste s'abat sur Thèbes, et l'oracle de Delphes annonce que cette épidémie durera tant que le meurtrier de Laïos ne sera pas châtié. Œdipe alors fait rechercher le coupable, mais il ne tarde pas à se rendre compte que c'est lui qui a tué Laïos sans savoir que celui-ci était son père.
Quand Jocaste apprend la nouvelle, elle se suicide de désespoir, et Œdipe comprend que leurs enfants, Étéocle, Polynice, Antigone et Ismène sont maudits. Il se crève alors les yeux et renonce à la royauté. Quelques années plus tard, il est chassé de Thèbes ; errant çà et là, accompagné d'Antigone sa fille qui lui sert de guide, il arrive dans un lieu de culte non loin d'Athènes, où l'on vénère les Euménides. C'est là qu'il meurt, juste après qu'Apollon lui a promis que l'endroit de sa mort sera un lie sacré et bénéfique pour Athènes." (source : ac-strasbourg.fr/pedago/lettres)
Commentaire
Contrairement à Cronos ou à Zeus, on voit qu'Oedipe n'a pas conscience de tuer son père, et même, qu'il cherche à échapper au parricide en fuyant Polybos. Ce mythe est donc fondamentalement différent de celui de Cronos-Saturne, et on pourrait même s'interroger sur son lien avec la question des générations : pour Jean-Pierre Vernant (1914-2007), historien et spécialiste des mythes grecques, ce mythe pose d'abord et essentiellement la question de l'identité et de la culpabilité, bien que la malédiction d'Oedipe réside dans le fait qu'il a "brouillé" les générations et donc l'ordre naturel des choses : "On brouille toutes les générations humaines et on comprend alors que sa présence à Thèbes fasse qu’il n’y a plus de saisons, qu’il n’y a plus de rythme temporel où après l’hiver c’est le printemps, c’est l’été, c’est l’automne. L’été de l’homme, c’est le moment où il est à deux pieds. L’automne et l’hiver c’est le moment où il est à trois pieds et le printemps, c’est quand il est à quatre pieds. Il a tout brouillé. Maintenant, il n’y a plus de saisons Thèbes, c’est la pagaille, c’est le chaos temporel. Il a été cela. Et on voit que cet homme qui savait tout est aussi énigmatique que l’homme que représente Œdipe. Il est énigmatique, on ne sait pas ce que nous sommes. Sa faute, il est coupable du crime le plus grand, de la souillure la plus grande : coucher avec sa mère, tuer son père." (Jean-Pierre Vernant,"Les grands entretiens", 2 mai 2002)
Si la figure d'Oedipe paraît étroitement liée à la question des générations, c'est à cause de l'interprétation qu'en donna Freud, et de la théorie qu'il élabora à partir de ce mythe.
Bien que cette théorie ait été depuis controversée et souvent critiquée, elle n'en demeure pas moins célèbre et souvent citée et utilisée ; c'est pourquoi il convient de la connaître.
Tuer le père : le complexe d'Oedipe d'après Freud
Selon Freud, la mère est le premier objet de l'amour et du désir de l'enfant, car c'est elle qui satisfait, en le nourrissant, toutes ses envies et ses désirs dès la naissance."L'enfant établit un lien étroit entre la satisfaction de ses besoins et l'amour de sa mère : ses besoins ne seront satisfaits que pour autant qu'il est aimé de sa mère, et pour en être aimé il lui faut se conformer à ses exigences et à ses désirs. Sa plus grande angoisse est qu'un tel lien puisse être détruit [...] C'est dans ce contexte que vient prendre place le personnage du père. Il y apparaît comme un troisième terme qui s'introduit en gêneur pour l'enfant dans la relation à deux avec la mère, et qui en compromet le caractère exclusif. L'enfant s'aperçoit qu'il n'est pas tout pour sa mère, qu'il ne peut pas prétendre à posséder seul son intérêt et son amour." (G.P. Brabant, Clefs pour la psychanalyse, 1970) Pour le garçon, "en outre, côte à côte avec les sentiments positifs, l'affection et l'admiration qu'il voue éventuellement à son père, existent des sentiments hostiles et des souhaits de mort à son endroit, issus de la rivalité relative à la mère." (Brabant, op. cit.). Par ailleurs, le garçon doit en même temps construire son identité sexuelle, sa masculinité, en s'identifiant au père tout autant qu'il le jalouse et le rejette.
Ainsi, nous pouvons dire que la théorie de Freud considère comme fondamental le "conflit des générations" : selon lui, le garçon doit symboliquement éliminer le père et prendre sa place pour pouvoir devenir adulte et père à son tour.
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