C'est une question importante, un sujet d'actualité, et un changement sociologique majeur : ce thème pourrait tout à fait constituer un sujet de synthèse le jour de l'examen!
Je vous invite à lire deux articles sur ce sujet : le premier proposé par l'Observatoire des inégalités, le second par la revue Sciences Humaines.
Si vous avez des questions sur ces articles, n'hésitez pas à les poser en commentaire!
Quand l’ascenseur social descend : les conséquences individuelles et collectives du déclassement social
le 1er juillet 2009
Le déclassement marque nos sociétés qui n’arrivent pas à venir à bout du chômage. Un thème majeur et pourtant oublié de la sociologie. L’analyse de Camille Peugny, maître de conférences en sociologie (Paris VIII) et auteur de Le Déclassement (Grasset).
Tandis que la « panne de l’ascenseur social » occupe régulièrement la « Une » des journaux et que la question du « descenseur » social semble s’imposer comme un enjeu majeur du débat électoral de 2007, la sociologie demeure curieusement assez discrète sur le sujet. Si aux Etats-Unis, sociologues et anthropologues se sont depuis longtemps penchés sur le vécu et les conséquences de la mobilité intergénérationnelle descendante, peu de travaux systématiques ont été menés en France. (…)
Pourtant, en vingt ans, la dynamique de la société française a profondément changé. Dans les années 1970, la France connaît l’aboutissement d’un vaste mouvement de mobilité sociale ascendante. Nés au cours des années 1940 dans des milieux ouvriers ou paysans, les baby-boomers profitent des Trente glorieuses et de la diffusion du salariat moyen et supérieur [1] pour s’élever sensiblement au dessus de la condition de leurs parents. C’est cette génération qui se maintient depuis au sommet de la structure sociale. Au début des années 1980, les 35-39 ans sont ceux qui en moyenne occupent la position la plus favorisée. Vingt ans plus tard, les 35-39 ans figurent tout en bas d’une structure sociale… dominée par les 55-59 ans.
Les générations nées au tournant des années 1960 doivent en effet faire face à l’irruption puis à la persistance de la crise économique, au chômage de masse qui devient une donnée structurelle de l’économie et à une évolution moins favorable de la structure sociale.
Si l’on adopte une perspective historique, la part des individus immobiles (qui demeurent dans le même groupe social que leurs parents) reste remarquablement stable, autour de 38%. Par contre, parmi les individus mobiles, les trajectoires ascendantes deviennent moins nombreuses, alors que les trajectoires descendantes connaissent une augmentation sensible. Pour la génération 1944-1948, le solde de mobilité (construit comme la différence entre la part des trajectoires ascendantes et celle des trajectoires descendantes) approchait les 20 points : il tombe à moins de 7 points pour la génération 1964-1968, et rien n’indique que les courbes connaîtront dans un avenir proche une inflexion significative.
Cette dégradation des perspectives de mobilité sociale est généralisée. Pour les individus issus de milieux populaires, s’élever au-dessus de la condition de ses parents devient de plus en plus difficile et au milieu des années 2000, les enfants d’ouvriers ne sont pas plus nombreux à quitter la classe ouvrière que dans la France des années 1970. Pour les enfants issus de milieux favorisés, les risques de mobilité sociale descendante sont sévèrement accrus : plus d’un enfant de cadre sur quatre nés au tournant des années 1960 occupe, la quarantaine passée, un emploi d’ouvrier ou d’employé.
Au total, concernant la question de l’égalité des chances, il semble qu’il faille conclure à un lent nivellement vers le bas. L’écart entre les enfants de cadre et ceux d’ouvrier en termes d’accès au salariat d’encadrement diminue lentement entre les générations 1944-1948 et 1964-1968, mais les chances de devenir cadre diminuent pour les enfants de toutes les catégories sociales. Pour les enfants des classes populaires, l’ascenseur social est en panne. Pour ceux issus de milieux favorisés, il descend de plus en plus fréquemment.
La génération née une quinzaine d’années après le baby-boom fait figure de génération particulièrement défavorisée. A l’heure du départ à la retraite des baby-boomers, elle est déjà trop ancienne sur le marché du travail et ce sont alors leurs cadets, nés au début des années 1970, qui en bénéficient, les employeurs préférant embaucher de jeunes actifs fraîchement diplômés plutôt que de promouvoir des quadragénaires.
Deux types de vécu
Il n’existe pas d’expérience univoque de la mobilité descendante. Cette dernière voit sa fréquence augmenter, mais elle ne concerne pas avec la même intensité toutes les catégories sociales. Par définition, elle frappe les enfants issus de milieux favorisés puisque pour descendre, il faut venir d’en haut. Mais tous les enfants de cadre ne sont pas logés à la même enseigne. C’est par la transmission du capital culturel (mesuré par le niveau de diplôme dans ce travail) que s’effectue la reproduction de la position de cadre des ascendants. Même parmi les enfants de cadre, l’inégalité des chances scolaires persiste et le niveau de diplôme atteint par les individus est étroitement corrélé au niveau de diplôme du père. Au-delà, il fait identifier un effet « maternel » (les enfants de père cadre dont la mère est cadre également ont une probabilité plus élevé de reproduire la position du père) ainsi qu’un effet « généalogique » (les enfants de cadre dont le grand-père paternel n’était pas ouvrier ont une probabilité plus faible de connaître le déclassement social).
Il faut alors distinguer entre deux types de cadres parmi la génération des pères. Le premier (…) est composé d’individus issus de lignées où la position de cadre est déjà solidement ancrée, très diplômés et souvent mariées avec des femmes également plus diplômées que la moyenne. Ces cadres occupent des emplois qui nécessitent un diplôme initial élevé et exercent souvent des professions libérales ou de l’enseignement. Pour leurs enfants, les risques de mobilité descendante est relativement moins élevé (autour de 20% d’entre eux deviennent employé ou ouvrier). A l’inverse, le second type de cadres est composé des cadres « populaires », issus de milieux modestes qui en dépit d’un diplôme initial peu élevé ont atteint une position de cadre grâce à une mobilité ascendante en cours de carrière. Ils sont plus souvent cadres dans l’industrie et dans le secteur privé, sont souvent mariés avec des femmes inactives ou peu diplômées, et pour leurs enfants, les risques de mobilité descendante sont marqués (près d’un tiers d’entre eux sont employé ou ouvrier).
Selon que l’on soit enfant de cadre « populaire » ou de « dauphin », le déclassement social ne se vit pas de la même manière tant il revêt des significations différentes. Pour les premiers, le vécu peut être qualifié de générationnel tant affleure dans le discours le sentiment d’appartenir à une génération « sacrifiée », qui comparée à celle des ascendants, doit faire face à des perspectives nettement dégradées. Pour eux, la trajectoire descendante s’apparente à un retour à l’histoire « normale » d’une lignée marquée à un moment précis de son histoire par la soudaine mobilité ascendante d’un de ses membres.
Pour les enfants des « dauphins », le vécu se fait sur le mode de l’échec personnel. Nés dans des milieux favorisés, où le capital culturel est élevé, ils ne sont pas parvenus à reproduire la position du père. Le sentiment d’échec personnel domine alors et s’accompagne d’une difficulté à trouver sa place, dans la cellule familiale où prévaut le sentiment d’avoir rompu l’histoire de la lignée, mais aussi dans la société qui renvoie l’image de l’échec et dont on souhaite s’extraire.
Les conséquences politiques de la mobilité descendante
Quel que soit le type de vécu, la mobilité descendante, loin de n’être qu’une construction sociologique, (…) revêt une signification pour les individus. En particulier, ce n’est pas parce que le déclassement s’apparente à un retour à l’histoire « normale » de la lignée pour les enfants de cadres « populaires » qu’il est vécu de manière indolore. Au contraire, il est souvent perçu comme paradoxal et injuste puisque souvent plus diplômés que leurs parents, les individus concernés se trouvent cantonnés à des emplois d’exécution : le sentiment de frustration est fort tant domine l’impression d’avoir été trompé.
Au-delà de ces conséquences individuelles, l’augmentation des trajectoires descendantes revêt également des conséquences collectives. En effet, le sens de la trajectoire intergénérationnelle influence la manière dont on se représente le fonctionnement de la société. Sur le plan du comportement politique, la mobilité descendante se traduit par une recomposition (…) des attitudes. En particulier, la combinaison d’une forte hostilité au libéralisme économique et d’une faible préoccupation de redistribution sociale constitue un résultat relativement nouveau pour la science politique. Les victimes du déclassement social expriment ainsi un net besoin de protection de la part de l’Etat qui va de pair avec un rejet des « exclus » accusés de « profiter du système ».
Coexistent alors désormais au sein du même discours deux types de fragments habituellement opposés. Un fragment de « gauche », très critique du libéralisme économique, et un fragment « libéral », virulent à l’encontre des « assistés » .
Exigence d’un Etat protecteur donc, mais qui protège d’abord ceux qui travaillent. Sur le plan du positionnement partisan, les « déclassés » semblent relativement sensibles au discours de l’extrême droite. Le sentiment de frustration mentionné plus haut, ainsi que la recomposition originale du discours économique et social sont deux éléments que l’on peut avancer pour expliquer cette sensibilité à une extrême droite s’érigeant en défenseur des « petits » et des « sans grade » tout en pourfendant les « assistés ».
Ce texte est issu d’un rapport réalisé pour la Mission recherche (Mire) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ministère des affaires sociales.
Article publié le 22 mars 2007.
[1] Professions intermédiaires et cadres supérieurs notamment
Xavier Molénat
Les jeunes générations sont-elles condamnées à vivre moins bien que leurs parents ? Le débat a été animé au cours de l’été 2009. Dans Le Déclassement, paru début 2009, le sociologue Camille Peugny avait mis en évidence une diminution progressive des chances de mobilité ascendante au fur et à mesure des générations. Les générations nées dans les années 1940 et 1950 sont celles qui ont tiré le plus grand profit des transformations de la structure sociale française et du mouvement d’ouverture de l’école. Mais les perspectives se sont dégradées pour les générations nées à partir de 1960 qui, lors de leur entrée sur le marché du travail, font face à une conjoncture économique dégradée et un chômage croissant (hormis un léger mieux pour les générations nées au tournant des années 1960-1970). Le ratio ascendants/descendants reste toujours positif, mais diminue : il est de 2,2 pour les hommes de 40 ans nés en 1944-1948, de 1,8 pour ceux nés en 1954-1958 et 1,4 pour ceux nés entre 1964 et 1968. Ce qui traduit une « sévère dégradation des perspectives » : « En 2003, parmi les individus âgés de 35 à 39 ans, 40 % reproduisent la position de leur père, 35 % s’élèvent au-dessus d’elle mais 25 % sont frappés par le déclassement. Parmi les individus du même âge en 1983, les proportions étaient respectivement de 42, 40 et 18 %. » Ainsi, selon C. Peugny, « le destin des enfants des classes populaires (ouvriers et employés) (...) s’est détérioré » entre les générations nées au milieu des années 1940 et celles nées vingt ans plus tard, qui connaissent une mobilité ascendante moins importante (20 % pour ces derniers, contre 27 % pour les premiers). Le diplôme reste la meilleure protection contre le déclassement… Et même celui des parents, et de la mère en particulier : « 66 % des hommes dont le père est cadre et la mère est diplômée du supérieur deviennent cadres à leur tour, contre seulement 30 % de ceux dont la mère n’est pas diplômée. » Reste que l’inflation scolaire conduit certains à subir un double déclassement, scolaire (ils n’obtiennent pas de poste à la hauteur de leur diplôme) et générationnel (ils n’arrivent pas à reproduire la position de leurs parents).Un rapport du Conseil d’analyse stratégique (CAS), paru en juillet 2009, a voulu apporter un diagnostic plus nuancé de la situation (1). Ses auteurs, reprenant les chiffres de C. Peugny, juge la progression du déclassement incontestable mais modérée. La crainte généralisée du déclassement leur semble en décalage avec la réalité des faits : le solde de la mobilité sociale reste positif, les classes moyennes maintiennent leur position, et le nombre d’emplois qualifiés continue à augmenter. Mais d’autres phénomènes nourrissent l’anxiété : prix du logement, émergence des travailleurs pauvres, progression du surendettement…, phénomènes qui appellent, en effet, l’action des pouvoirs publics.
La réponse de C. Peugny ne s’est pas fait attendre. Dans une tribune du Monde paru quatre jours après le rapport du CAS, il a exprimé son désaccord total avec cette vision (2). D’une part, il a rappelé que les chiffres du déclassement qu’il a établis, et que reprend le CAS, sont des chiffres a minima, qui ne mesurent que des trajectoires fortement descendantes (un fils de cadre devenant ouvrier, par exemple). En intégrant des formes moins brutales de descente sociale, le taux de déclassement des fils de cadre pourrait atteindre non pas 24 % mais 45 %. D’autre part, on ne saurait se contenter de comparer la profession des parents et celle des enfants. La difficulté à acquérir un logement et la fragilisation des contrats de travail qui « interdisent toute projection dans l’avenir » sont autant d’indicateurs du déclassement générationnel. Loin qu’il y ait « un écart entre une réalité nuancée et une perception beaucoup plus sombre », le déclassement, selon C. Peugny, « constitue bel et bien la réalité vécue par une proportion croissante des jeunes générations, victimes de la précarisation, du chômage de masse et d’une baisse sensible de leur niveau de vie ».
NOTES :
(1) Centre d’analyse stratégique, « La mesure du déclassement. Informer et agir sur les nouvelles réalités sociales », juillet 2009.
(2) Camille Peugny, « Non, la montée du déclassement n’est pas un mythe », Le Monde, 14 juillet 2009
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