Aventures



Aventure
:
Du latin vulgaire adventura (« ce qui doit arriver »), neutre pluriel substantivé (et compris comme féminin singulier) du participe futur de advenire (« arriver, se produire » → voir advenir). D’où le sens, en ancien français de « sort, destin », aujourd’hui désuet sauf dans la locution bonne aventure.



Sans détour, pas d'aventure... C'est d'ailleurs l'une des connotations premières du mot : l'aventure survient hors des sentiers balisés, elle s'offre à celui qui "part à l'aventure", sans but, sans trajectoire déterminée.
Elle est celle qui fonde le héros et le révèle ; ceci apparaît clairement dans cette réponse de Calogrenant, dans Yvain ou le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes (1176) :


- Je sui, fet il, uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis;
Assez ai quis, et rien ne truis.
-Et que voldroies tu trover?
-Avanture, por esprover
Ma proesce et mon hardemant.
Or te pri et quier et demant,
Se tu sez, que tu me consoille
Ou d'aventure ou de mervoille.

"Je suis, dit-il, un chevalier qui recherche ce que je ne puis trouver ; j'ai beaucoup cherché, et rien ne trouvai .
- Et que voudrais-tu trouver?
- L'aventure, pour mettre à l'épreuve ma vaillance et mon audace. Aussi je te prie, te supplie, te demande de me donner des indications sur une aventure ou une chose extraordinaire dont tu aurais connaissance."

C'est l'aventure aussi qui crée le récit : sans détour et sans péripétie, pas d'histoire, pas de gloire, pas de héros, comme nous le rappelle Wace dans ces vers célèbres du Roman de Brut (1155) :

En cele grant pes que je di,
Ne sai se vos l'avez oï,
Furent les merveilles provees
Et les aventures trovees
Qui d'Artur sont tant recontees
Que a fables sont atornees.

Dans ce grand pays dont je vous parle [l'Angleterre] - je ne sais pas si vous en avez entendu parler- les merveilles furent prouvées, et les aventures trouvées, celles qui au sujet d'Arthur sont tellement racontées qu'elles sont devenues des légendes.

Le Héros est donc celui qui prend le risque du Détour et de ses dangers.
Lors de son voyage au royaume des morts (sur lequel je vous prépare une page), Dante rencontre l'âme d'Ulysse, puni pour avoir franchi les bornes du monde des hommes. Après son Odyssée, il n'est pas resté auprès de Pénélope, il a repris la mer, est reparti à l'aventure, s'est relancé dans le détour : magnifique définition de l'héroïsme de l'aventurier.


Dante, La Divine Comédie, "L'Enfer", chant XXVI :

« Ayant abandonné Circé, qui plus d'un an
me retint dans ses rets, là-bas, près de Gaète
(qui n'avait pas ce nom, imposé par Énée),

ni le très grand amour que j'avais pour mon fils,
ni l'amour filial, ni la foi conjugale
qui devait rendre heureux le cœur de Pénélope

n'ont été suffisants pour vaincre en moi la soif
que j'avais de savoir tous les secrets du monde,
tous les vices de l'homme, ainsi que ses vertus.

Je repris donc la mer et partis vers le large,
avec un seul navire et la petite troupe
qui n'avait pas voulu m'abandonner alors.

J'ai couru les deux bords jusqu'au bout de l'Espagne,
la côte du Maroc et l'île de Sardaigne
et les autres pays qu'entoure cette mer.

Mes compagnons et moi, nous étions vieux et las
au moment d'arriver à cet étroit passage
qu'Hercule au temps jadis signala de ses bornes,

pour dire que personne au-delà ne s'avance ;
nous avions dépassé Séville à notre droite,
après avoir laissé Ceuta sur notre gauche.

« Mes frères, dis-je alors, après cent mille écueils,
nous voici parvenus au bout de l'Occident !
Mais ce bref lumignon du soir de notre vie,

mais ce souffle dernier qui nous demeure encore,
pourront-ils reculer, devant la découverte
qui nous attend, à l'ouest, du monde sans humains ?

Considérez plutôt vos nobles origines :
car vous n'êtes pas faits à l'image des bêtes
mais conçus pour aimer la science et le bien ! »

J'avais, par ce discours, rendu mes compagnons
tellement désireux de me suivre partout,
que je n'aurais plus su comment les retenir.

Tournant la poupe alors du côté du matin,
pour notre vol de fous les rames furent ailes,
et nous voguions à l'ouest en prenant sur la gauche.

Déjà la nuit venait nous montrer les étoiles
d'un pôle différent, le nôtre étant si bas,
qu'il ne surgissait plus des profondeurs de l'eau.

Cinq fois s'est allumée et cinq fois s'est éteinte
la face de la lune où l'on voit la lumière,
depuis que nous glissions sur l'immense Océan,

lorsque sur l'horizon nous avons aperçu
un grand mont noir au loin, qui paraissait plus haut
que toutes les hauteurs que j'avais déjà vues.

Nous criâmes de joie, et bientôt de douleur,
car un orage vint de la terre nouvelle
et s'abattit soudain sur l'avant de la nef.

Il la fit tournoyer trois fois sur l'eau mouvante ;
à la quatrième fois il souleva la poupe,
comme un autre voulait, submergeant notre proue,

jusqu'à ce que la mer se refermât sur nous. »

Ce sont ces vers que cite Godard lors de la scène de projection des rushs dans Le Mépris :

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