Le célèbre miroir s'inscrivant au coeur du Portrait des époux Arnolfini constitue une prouesse artistique, une expérimentation picturale à une époque où s'invente la perspective ; mais il ne s'agit pas là de sa seule modernité : il s'agit d'un bouleversement artistique, qui déplace les lignes de vision traditionnelles et l'espace de la toile ; dans une mise en abyme, le spectateur pénètre à l'intérieur du tableau et se regarde lui-même regardant la scène, à travers le reflet du troisième personnage dans le miroir, qui occupe la position du peintre mais aussi celle du spectateur. Comme souvent, l'intérêt du tableau se situe dans le détour du regard, qui parvient à dépasser le premier plan pour explorer les profondeurs cachées.
Ce thème du miroir connaîtra bien des variations fécondes. Plus de 400 ans plus tard, Edouard Manet joue aussi avec le reflet.
Un bar aux Folies Bergère, Manet, 1881
Le reflet et la pespective sont ici "truqués" : la serveuse, vue de face, devrait nous cacher son propre reflet. Pourquoi ce détour? Pourquoi nous permettre de voir celui qui se reflète à droite du tableau? Et qui est-il? Le peintre? Le spectateur? Ces questions, malgré des débats passionnés, n'ont pas trouvé de réponse : le détour encore une fois paraît plus riche, plus fécond, que le sens et la vision qui seraient directement donnés...
Le même dispositif apparaît dans le célèbre tableau de Velasquez, Les Ménines (1656). Sur ce tableau, le peintre, entouré des filles d'honneur ("les ménines") se représente en train de peindre le portrait du roi et de la reine dont le reflet apparaît dans le miroir du fond... ce qui correspond à la place à laquelle se tient le spectateur. Et le peintre, qui regarde-t-il?
La toile en train d'être peinte n'est pas visible chez Velasquez ; elle l'est dans ce Triple autoportrait de Norman Rockwell (1960), qui constitue une célèbre mise en abyme :
C'est également autour de ce thème du miroir que s'organise l'une des salles de la belle exposition Rivalités à Venise, visible au Louvre jusqu'au 04 janvier 2010. On peut y admirer en particulier le tableau du Tintoret, Suzanne et les vieillards, où le miroir redouble le regard du voyeur ; mais le spectateur ne l'est-il pas aussi, voyeur?
Je vous invite à consulter ici la page que consacre le musée à cette salle...
Le Tintoret, Suzanne et les vieillards , 1555
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire