Le célèbre miroir s'inscrivant au coeur du Portrait des époux Arnolfini constitue une prouesse artistique, une expérimentation picturale à une époque où s'invente la perspective ; mais il ne s'agit pas là de sa seule modernité : il s'agit d'un bouleversement artistique, qui déplace les lignes de vision traditionnelles et l'espace de la toile ; dans une mise en abyme, le spectateur pénètre à l'intérieur du tableau et se regarde lui-même regardant la scène, à travers le reflet du troisième personnage dans le miroir, qui occupe la position du peintre mais aussi celle du spectateur. Comme souvent, l'intérêt du tableau se situe dans le détour du regard, qui parvient à dépasser le premier plan pour explorer les profondeurs cachées.
Ce thème du miroir connaîtra bien des variations fécondes. Plus de 400 ans plus tard, Edouard Manet joue aussi avec le reflet.
Le reflet et la pespective sont ici "truqués" : la serveuse, vue de face, devrait nous cacher son propre reflet. Pourquoi ce détour? Pourquoi nous permettre de voir celui qui se reflète à droite du tableau? Et qui est-il? Le peintre? Le spectateur? Ces questions, malgré des débats passionnés, n'ont pas trouvé de réponse : le détour encore une fois paraît plus riche, plus fécond, que le sens et la vision qui seraient directement donnés...
Le même dispositif apparaît dans le célèbre tableau de Velasquez, Les Ménines (1656). Sur ce tableau, le peintre, entouré des filles d'honneur ("les ménines") se représente en train de peindre le portrait du roi et de la reine dont le reflet apparaît dans le miroir du fond... ce qui correspond à la place à laquelle se tient le spectateur. Et le peintre, qui regarde-t-il?
La toile en train d'être peinte n'est pas visible chez Velasquez ; elle l'est dans ce Triple autoportrait de Norman Rockwell (1960), qui constitue une célèbre mise en abyme :
C'est également autour de ce thème du miroir que s'organise l'une des salles de la belle exposition Rivalités à Venise, visible au Louvre jusqu'au 04 janvier 2010. On peut y admirer en particulier le tableau du Tintoret, Suzanne et les vieillards, où le miroir redouble le regard du voyeur ; mais le spectateur ne l'est-il pas aussi, voyeur?
Je vous invite à consulter ici la page que consacre le musée à cette salle...
Il suffit d'observer la pléthore de compilations consacrées à une décennie particulière pour saisir le lien particulier qui unit, de nos jours, musique et sentiment d'appartenance à une génération.
La chanson "Rockollection" de Voulzy (1977) témoigne bien de cette imbrication des souvenirs personnels de jeunesse et des bribes de tubes de l'époque...
Pourtant, en effectuant une simple recherche sur Google Image, l'on s'aperçoit que ces compilations "rétro" ne remontent guère au-delà des années 60, hormis quelques éditions plus spécialisées : à votre avis, comment pourrait-on l'interpréter? Je vous laisse y réfléchir, et éventuellement proposer vos pistes de réponses en commentaire : je suis certaine que cette petite réflexion nous en apprendra beaucoup sur la notion de générations à notre époque...
La question des générations a également inspiré bien des chansons. Je vous propose ici une petite discographie évolutive, que je mettrai à jour au fur et à mesure de mes trouvailles : là encore n'hésitez pas à faire des suggestions... Je joins le texte des chansons à la suite.
En complément de "vingt ans" par Ferré, j'ajoute la magnifique reprise qui en a été faite par Zebda: une preuve que les générations ne s'opposent pas toujours, et que la "génération des 20 ans" reste là-même... à travers les générations!
Voici encore de quoi problématiser cette notion!
Ferré, "Vingt ans"(1969) :
Pour tout bagage on a vingt ans
On a l'expérience des parents
On se fout du tiers comme du quart
On prend l'bonheur toujours en r'tard
Quand on aime c'est pour toute la vie
Cette vie qui dure l'espace d'un cri
D'une permanente ou d'un blue-jean
Et pour le reste on imagine
Pour tout bagage on a sa gueule
Quand elle est bath ça va tout seul
Quand elle est moche on s'habitue
On s'dit qu'on n'est pas mal foutu
On bat son destin comme les brêmes
On touche à tout on dit "je t'aime"
Qu'on soit d'la Balance ou du Lion
On s'en balance on est des lions
Pour tout bagage on a vingt ans
On a des réserves de printemps
Qu'on jett'rait comme des miettes de pain
À des oiseaux sur le chemin
Quand on aime c'est jusqu'à la mort
On meurt souvent et puis on sort
On va griller une cigarette
L'amour ça s'prend et puis ça s'jette
Pour tout bagage on a sa gueule
Qui cause des fois quand on est seul
C'est ç'qu'on appelle la voix du d'dans
Ça fait parfois un d'ces boucans
Pas moyen de tourner l'bouton
De cette radio on est marron
On passe à l'examen de minuit
Et quand on pleure on dit qu'on rit
Pour tout bagage on a vingt ans
On a une rose au bout des dents
Qui vit l'espace d'un soupir
Et qui vous pique avant d'mourir
Quand on aime c'est pour tout ou rien
C'est jamais tout c'est jamais rien
Ce rien qui fait sonner la vie
Comme un réveil au coin du lit
Pour tout bagage on a sa gueule
Devant la glace quand on est seul
Qu'on ait été chouette ou tordu
Avec les ans tout est foutu
Alors on maquille le problème
On s'dit qu'y'a pas d'âge pour qui s'aime
Et en cherchant son cœur d'enfant
On dit qu'on a toujours vingt ans
Brel, "Au suivant" (1964) :
Cette chanson se réfère au service militaire, qui constitua un rite initiatique de passage à l'âge adulte pour de nombreuses générations...
Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J'avais le rouge au front et le savon à la main
Au suivant, au suivant
J'avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
A être le suivant de celui qu'on suivait
Au suivant, au suivant
J'avais juste vingt ans et je me déniaisais
Au bordel ambulant d'une armée en campagne
Au suivant, au suivant
Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresse
Ou alors un sourire ou bien avoir le temps
Mais au suivant, au suivant
Ce n'fut pas Waterloo mais ce n'fut pas Arcole
Ce fut l'heure où l'on r'grette d'avoir manqué l'école
Au suivant, au suivant
Mais je jure que d'entendre cet adjudant d'mes fesses
C'est des coups à vous faire des armées d'impuissants
Au suivant, au suivant
Je jure sur la tête de ma première vérole
Que cette voix depuis je l'entends tout le temps
Au suivant, au suivant
Cette voix qui sentait l'ail et le mauvais alcool
C'est la voix des nations et c'est la voix du sang
Au suivant, au suivant
Et depuis chaque femme à l'heure de succomber
Entre mes bras trop maigres semble me murmurer :
"Au suivant, au suivant"
Tous les suivants du monde devraient s'donner la main
Voilà ce que la nuit je crie dans mon délire
Au suivant, au suivant
Et quand je n'délire pas, j'en arrive à me dire
Qu'il est plus humiliant d'être suivi que suivant
Au suivant, au suivant
Un jour je m'f'rai cul-de-jatte ou bonne sœur ou pendu
Enfin un d'ces machins où je n's'rai jamais plus
Le suivant, le suivant
Brel, "Les bourgeois" (1961) :
Le coeur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait boire nos vingt ans
Jojo se prenait pour Voltaire
Et Pierre pour Casanova
Et moi moi qui étais le plus fier
Moi moi je me prenais pour moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient...
Le coeur bien au chaud
Les yeux dans la bière
Chez la grosse Adrienne de Montalant
Avec l'ami Jojo
Et avec l'ami Pierre
On allait brûler nos vingt ans
Voltaire dansait comme un vicaire
Et Casanova n'osait pas
Et moi moi qui restait le plus fier
Moi j'étais presque aussi saoul que moi
Et quand vers minuit passaient les notaires
Qui sortaient de l'hôtel des "Trois Faisans"
On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
En leur chantant
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient bête
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux plus ça devient...
Le coeur au repos
Les yeux bien sur terre
Au bar de l'hôtel des "Trois Faisans"
Avec maître Jojo
Et avec maître Pierre
Entre notaires on passe le temps
Jojo parle de Voltaire
Et Pierre de Casanova
Et moi moi qui suis resté le plus fier
Moi moi je parle encore de moi
Et c'est en sortant vers minuit Monsieur le Commissaire
Que tous les soirs de chez la Montalant
De jeunes "peigne-culs" nous montrent leur derrière
En nous chantant
Les bourgeois c'est comme les cochons
Plus ça devient vieux et plus ça devient bête
Disent-ils Monsieur le commissaire
Les bourgeois
Plus ça devient vieux et plus ça devient...
Brassens, "Boulevard du temps qui passe" (1976) :
A peine sortis du berceau
Nous sommes allés faire un saut
Au boulevard du temps qui passe
En scandant notre "Ça ira"
Contre les vieux, les mous, les gras
Confinés dans leurs idées basses.
On nous a vus, c'était hier
Qui descendions, jeunes et fiers
Dans une folle sarabande
En allumant des feux de joie
En alarmant les gros bourgeois
En piétinant leurs plates-bandes.
Jurant de tout remettre à neuf
De refaire quatre-vingt-neuf
De reprendre un peu la Bastille
Nous avons embrassé, goulus
Leurs femmes qu'ils ne touchaient plus
Nous avons fécondé leurs filles.
Dans la mare de leurs canards
Nous avons lancé, goguenards
Force pavés, quelle tempête
Nous n'avons rien laissé debout
Flanquant leurs credos, leurs tabous
Et leurs dieux, cul par-dessus tête.
Quand sonna le cessez-le-feu
L'un de nous perdait ses cheveux
Et l'autre avait les tempes grises.
Nous avons constaté soudain
Que l'été de la Saint-Martin
N'est pas loin du temps des cerises.
Alors, ralentissant le pas
On fit la route à la papa
Car, braillant contre les ancêtres
La troupe fraîche des cadets
Au carrefour nous attendait
Pour nous envoyer à Bicêtre.
Tous ces gâteux, ces avachis
Ces pauvres sépulcres blanchis
Chancelant dans leur carapace
On les a vus, c'était hier
Qui descendaient jeunes et fiers
Le boulevard du temps qui passe.
Saez, "Jeune et con" (2001) :
Encore un jour se lève sur la planète France
Et je sors doucement de mes rêves je rentre dans la danse
Comme toujours il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour
Je me suis encore couché trop tard je me suis rendu sourd encore
Encore une soirée où la jeunesse France
Encore elle va bien s'amuser puisqu'ici rien n'a de sens
Alors elle va danser faire semblant d'être heureux
Pour aller gentiment se coucher mais demain rien n'ira mieux
Puisqu'on est jeune et con
Puisqu'ils sont vieux et fous
Puisque des hommes crèvent sous les ponts
Mais ce monde s'en fout
Puisqu'on n'est que des pions
Contents d'être à genoux
Puisque je sais qu'un jour nous gagnerons à devenir fous
Encore un jour se lève sur la planète France
Mais j'ai depuis longtemps perdu mes rêves je connais trop la danse
Comme toujours il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour
Mais je sais qu'on est quelques milliards à chercher l'amour encore
Encore une soirée où la jeunesse France
Encore elle va bien s'amuser dans cet état d'urgence
Alors elle va danser faire semblant d'exister
Qui sait si l'on ferme les yeux on vivra vieux ?
Puisqu'on est jeune et con
Puisqu'ils sont vieux et fous
Puisque des hommes crèvent sous les ponts
Mais ce monde s'en fout
Puisqu'on n'est que des pions
Contents d'être à genoux
Puisque je sais qu'un jour nous nous aimerons
Comme des fous
Encore un jour se lève sur la planète France
Et j'ai depuis longtemps perdu mes rêves je connais trop la danse
Comme toujours il est huit heures du soir j'ai dormi tout le jour
Mais je sais qu'on est quelques milliards à chercher l'amour
People try to put us d-down (Talkin' 'bout my generation) Les gens essaient de nous rabaisser ( parlant d'ma génération)
Just because we get around (Talkin' 'bout my generation) Juste parce que nous roulons notre bosse ( parlant d'ma génération)
Things they do look awful c-c-cold (Talkin' 'bout my generation) Les choses qu'ils font semblent effroyablement déprimantes ( parlant d'ma génération)
I hope I die before I get old (Talkin' 'bout my generation) J'espère mourir avant d'être vieux ( parlant d'ma génération)
This is my generation C'est ma génération
This is my generation, baby C'est ma génération, bébé
Why don't you all f-fade away (Talkin' 'bout my generation) Pourquoi ne disparaissez vous pas tous? ( parlant d'ma génération)
And don't try to dig what we all s-s-say (Talkin' 'bout my generation) Et n'essayez surtout pas de piger ce qu'on dit tous ( parlant d'ma génération)
I'm not trying to cause a big s-s-sensation (Talkin' 'bout my generation) Là je ne cherche pas à faire une grosse impression ( parlant d'ma génération)
I'm just talkin' 'bout my g-g-g-generation (Talkin' 'bout my generation) Je parle seulement de ma génération ( parlant d'ma génération)
"La Carte de Tendre est la carte d’un pays imaginaire appelé «Tendre» inspiré par Clélie, Histoire romaine de Madeleine de Scudéry, imaginé au XVIIe siècle par différentes personnalités dont Catherine de Rambouillet. On retrouve tracées, sous forme de villages et de chemins, dans cette "représentation topographique et allégorique", les différentes étapes de la vie amoureuse selon les Précieuses de l’époque. On attribue à François Chauveau la gravure de cette carte figurant en illustration dans la première partie de Clélie, Histoire romaine.
Tendre est le nom du pays ainsi que de ses trois villes capitales. Tendre a un fleuve, Inclination, rejoint à son embouchure par deux rivières, Estime et Reconnaissance. Les trois villes de Tendre, Tendre-sur-Inclination, Tendre-sur-Estime et Tendre-sur-Reconnaissance sont situées sur ces trois cours d’eau différents. Pour aller de Nouvelle-Amitié à Tendre-sur-Estime, il faut passer par le lieu de Grand-Esprit auquel succèdent les agréables villages de Jolis-vers, Billet-galant et Billet-doux. Dans cette sorte de géographie amoureuse, le fleuve Inclination coule tranquillement car il est domestiqué tandis que la Mer est dangereuse car elle représente les passions. La seule Passion positive est celle qui la source de nobles sentiments que l’homme peut éprouver. Le lac d’Indifférence représente l’ennui." (source : wikipedia)
Le long du fleuve qui remonte Par les rives de la rencontre Aux sources d'émerveillement On voit dans le jour qui se lève S'ouvrir tout un pays de rêve Le tendre pays des amants On part avec le cœur qui tremble Du bonheur de partir ensemble Sans savoir ce qui nous attend Ainsi commence le voyage Semé d'écueils et de mirages De l'amour et de ses tourments
Quelques torrents de médisance Viennent déchirer le silence Essayant de tout emporter Et puis on risque le naufrage Lorsque le vent vous mène au large Des îles d'infidélité Plus loin le courant vous emporte Vers les rochers de la discorde Et du mal à se supporter Enfin la terre se dénude C'est le désert de l'habitude L'ennui y a tout dévasté
Quand la route paraît trop longue Il y a l'escale du mensonge L'auberge de la jalousie On y déjeune de rancune Et l'on s'enivre d'amertume L'orgueil vous y tient compagnie Mais quand tout semble à la dérive Le fleuve roule son eau vive Et l'on repart à l'infini Où l'on découvre au bord du Tendre Le jardin où l'on peut s'étendre La terre promise de l'oubli
Cette représentation traditionnelle a été détournée par BNP Paribas : du tendre au trader, voici un détour auquel je n'aurais pas pensé... Mais la valeur du détour est-elle alors la même? Autant l'amour se nourrit d'attentes et d'exploration, autant la spéculation relève ici plus des détours de la stratégie et de la ruse... Et n'attend-t-on pas du trader une certaine efficacité, rapidité?
Aventure :
Du latin vulgaire adventura (« ce qui doit arriver »), neutre pluriel substantivé (et compris comme féminin singulier) du participe futur de advenire (« arriver, se produire » → voir advenir). D’où le sens, en ancien français de « sort, destin », aujourd’hui désuet sauf dans la locution bonne aventure.
Sans détour, pas d'aventure... C'est d'ailleurs l'une des connotations premières du mot : l'aventure survient hors des sentiers balisés, elle s'offre à celui qui "part à l'aventure", sans but, sans trajectoire déterminée.
Elle est celle qui fonde le héros et le révèle ; ceci apparaît clairement dans cette réponse de Calogrenant, dans Yvain ou le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes (1176) :
- Je sui, fet il, uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis;
Assez ai quis, et rien ne truis.
-Et que voldroies tu trover?
-Avanture, por esprover
Ma proesce et mon hardemant.
Or te pri et quier et demant,
Se tu sez, que tu me consoille
Ou d'aventure ou de mervoille.
"Je suis, dit-il, un chevalier qui recherche ce que je ne puis trouver ; j'ai beaucoup cherché, et rien ne trouvai .
- Et que voudrais-tu trouver?
- L'aventure, pour mettre à l'épreuve ma vaillance et mon audace. Aussi je te prie, te supplie, te demande de me donner des indications sur une aventure ou une chose extraordinaire dont tu aurais connaissance."
C'est l'aventure aussi qui crée le récit : sans détour et sans péripétie, pas d'histoire, pas de gloire, pas de héros, comme nous le rappelle Wace dans ces vers célèbres du Roman de Brut (1155) :
En cele grant pes que je di,
Ne sai se vos l'avez oï,
Furent les merveilles provees
Et les aventures trovees
Qui d'Artur sont tant recontees
Que a fables sont atornees.
Dans ce grand pays dont je vous parle [l'Angleterre] - je ne sais pas si vous en avez entendu parler- les merveilles furent prouvées, et les aventures trouvées, celles qui au sujet d'Arthur sont tellement racontées qu'elles sont devenues des légendes.
Le Héros est donc celui qui prend le risque du Détour et de ses dangers.
Lors de son voyage au royaume des morts (sur lequel je vous prépare une page), Dante rencontre l'âme d'Ulysse, puni pour avoir franchi les bornes du monde des hommes. Après son Odyssée, il n'est pas resté auprès de Pénélope, il a repris la mer, est reparti à l'aventure, s'est relancé dans le détour : magnifique définition de l'héroïsme de l'aventurier.
Dante, La Divine Comédie, "L'Enfer", chant XXVI :
« Ayant abandonné Circé, qui plus d'un an
me retint dans ses rets, là-bas, près de Gaète
(qui n'avait pas ce nom, imposé par Énée),
ni le très grand amour que j'avais pour mon fils,
ni l'amour filial, ni la foi conjugale
qui devait rendre heureux le cœur de Pénélope
n'ont été suffisants pour vaincre en moi la soif
que j'avais de savoir tous les secrets du monde,
tous les vices de l'homme, ainsi que ses vertus.
Je repris donc la mer et partis vers le large,
avec un seul navire et la petite troupe
qui n'avait pas voulu m'abandonner alors.
J'ai couru les deux bords jusqu'au bout de l'Espagne,
la côte du Maroc et l'île de Sardaigne
et les autres pays qu'entoure cette mer.
Mes compagnons et moi, nous étions vieux et las
au moment d'arriver à cet étroit passage
qu'Hercule au temps jadis signala de ses bornes,
pour dire que personne au-delà ne s'avance ;
nous avions dépassé Séville à notre droite,
après avoir laissé Ceuta sur notre gauche.
« Mes frères, dis-je alors, après cent mille écueils,
nous voici parvenus au bout de l'Occident !
Mais ce bref lumignon du soir de notre vie,
mais ce souffle dernier qui nous demeure encore,
pourront-ils reculer, devant la découverte
qui nous attend, à l'ouest, du monde sans humains ?
Considérez plutôt vos nobles origines :
car vous n'êtes pas faits à l'image des bêtes
mais conçus pour aimer la science et le bien ! »
J'avais, par ce discours, rendu mes compagnons
tellement désireux de me suivre partout,
que je n'aurais plus su comment les retenir.
Tournant la poupe alors du côté du matin,
pour notre vol de fous les rames furent ailes,
et nous voguions à l'ouest en prenant sur la gauche.
Déjà la nuit venait nous montrer les étoiles
d'un pôle différent, le nôtre étant si bas,
qu'il ne surgissait plus des profondeurs de l'eau.
Cinq fois s'est allumée et cinq fois s'est éteinte
la face de la lune où l'on voit la lumière,
depuis que nous glissions sur l'immense Océan,
lorsque sur l'horizon nous avons aperçu
un grand mont noir au loin, qui paraissait plus haut
que toutes les hauteurs que j'avais déjà vues.
Nous criâmes de joie, et bientôt de douleur,
car un orage vint de la terre nouvelle
et s'abattit soudain sur l'avant de la nef.
Il la fit tournoyer trois fois sur l'eau mouvante ;
à la quatrième fois il souleva la poupe,
comme un autre voulait, submergeant notre proue,
jusqu'à ce que la mer se refermât sur nous. »
Ce sont ces vers que cite Godard lors de la scène de projection des rushs dans Le Mépris :
Je vous renvoie à l'article très complet de Wikipedia sur ce sujet. Dans le cadre du Détour, nous retiendrons bien entendu la fonction initiatique du labyrinthe, que l'on retrouve dans de nombreuses cultures et religions. Se perdre pour se trouver et se révéler. C'est l'art du détour qui fait de Thésée un héros.
(Maître des Cassoni Campana, Thésée et le Minotaure, entre 1510 et 1520)
De même, dans Harry Potter et la Coupe de Feu, le labyrinthe constitue l'épreuve ultime et un lieu d'initiation : il est significatif qu'à l'intérieur du cycle, qui relève du roman d'apprentissage, ce tome soit celui consacré au passage de l'enfance à l'adolescence (découverte de l'amour et du désir notamment) ; de même, c'est au coeur du labyrinthe que le héros fera pour la 1ère fois réellement face à son ennemi. Mais le labyrinthe n'est pas sans danger, comme le prouve la mort de Cédric Diggory.
(Harry Potter et la Coupe de Feu, adaptation de Mike Newell, 2005)
Le célèbre labyrinthe de la Cathédrale d'Amiens, parcouru à genoux par les fidèles comme un pèlerinage symbolique :
Certains peintres nous incitent à sortir de nos habitudes de spectateur, à détourner notre regard: l'essentiel se trouve parfois dans les détours du tableau, dans ses marges...
Le regard détourné appartient alors à celui "qui sait", celui qui a vu, et qui devient le complice du peintre.
Quentin Metsys, Le prêteur et sa femme, 1514 (Louvre)
Le banquier et sa femme, occupés à compter leur or, ne voient pas les voleurs qui les guettent...
Et vous? Les voyez-vous?
L'Escamoteur, Jérôme Bosch, vers 1480
"L’Escamoteur aurait été peint entre 1475 et 1480. C’est une œuvre qui se moque de la stupidité, de la naïveté du peuple. Elle se classe dans les tableaux à scènes moralisatrices. Sur ce tableau, une dizaine de personnes sont regroupées sur la partie gauche pour admirer les tours de passe-passe d’un prestidigitateur situé lui seul, à droite du tableau. Il tient une perle entre le pouce et l’index ; l’un des spectateurs la regarde attentivement, plié en deux. Si celui-ci était redressé, il dépasserait d’une tête les autres personnages. On peut voir une grenouille entre ses lèvres et une autre sur la table. La perspective de la table s’accorde assez mal avec le reste du tableau. Profitant de l’attention que porte le spectateur au charlatan, un moine qui se situe derrière le spectateur fait mine de regarder ailleurs pendant qu’il lui dérobe sa bourse bien remplie." (source :Vivat.be)
Émotion, surprise, bouleversement des repères et des habitudes, sinuosités et lignes courbes, échappées, liberté... Le Détour apporte à l'Art bien de ses qualités. Il est également une marque de maîtrise, lorsque la ligne jamais ne s'égare, ne se brise malgré la complexité du parcours : maîtrise de Frank Gehry ou celle des grands calligraphes... Je vous propose donc une petite galerie de l'art du détour...
"Le jardin à l’anglaise est en complète opposition au style de jardin à la française par son agencement et ses formes irrégulières. Il en prend le contre-pied, aussi bien esthétiquement que symboliquement, en se proclamant avant tout paysage et peinture. Par ce refus de la symétrie et donc des codes, il devint un symbole d’émancipation vis-à-vis de la monarchie et de ses représentants, notamment sous la Révolution française, alors que l’influence française prédominait jusque là. Une esthétique privilégiant la redécouverte de la nature sous son aspect sauvage et poétique fut alors la priorité des concepteurs de l’époque, l’objectif n’étant plus de contrôler la nature mais d’en jouir. Cette conception allait submerger l’Europe ; ainsi à Versailles, un jardin à l’anglaise est réalisé au Petit Trianon pour la reine Marie-Antoinette. Vallonné de collines artificielles, il comprend un petit lac, une grotte et un belvédère.
Ainsi, dès le début du XVIè siècle, les jardins à l’anglaise se caractérisent par des cheminements sinueux ouvrant sur des points de vue pittoresques, là où un peintre poserait volontiers son chevalet. Il n’est donc pas surprenant que leurs concepteurs soient le plus souvent des peintres, comme William Kent qui en fut le précurseur. Tout comme dans un tableau, on recherche l’équilibre des volumes, la variété et l’harmonie des couleurs et des matières végétales avec des arbres rares aux feuillages colorés, des troncs torturés, pelouse, ruisseau, étang, prairie ou précipice. La perspective atmosphérique prime sur la perspective optique. Les imperfections de la nature y sont donc exploitées et non corrigées ; c’est la reconstitution d’un paysage sauvage voire anarchique à l’état naturel.
(Leonardslee Garden)
On trouve donc dans ces jardins à l’anglaise une association de diverses espèces ornementales de formes et de couleurs variés, des arbustes, des fourrés, des rochers, des statues, des bancs. L’itinéraire n’est pas balisé : la promenade dans un jardin à l’anglaise laisse une grande part à la surprise et à la découverte. Pas d’allées rectilignes guidant les pas du promeneur mais plutôt une sorte « d’errance poétique ». Le jardin à l’anglaise est en somme une peinture vivante." (source : Binette et Jardin.com)
(Jardin du temple Meigetsuin de Kamakura, Japon) "La perspective : elle est liée au principe de miniaturisation : en jouant sur la taille des éléments proches et lointains (par exemple, en plaçant de grands arbres au premier plan et des arbres plus petits à distance), il est possible de donner l’illusion d’espace à certaines zones du jardin.
Au contraire de la perspective occidentale, reposant sur un plan horizontal et un point de fuite, la perspective du jardin japonais repose sur le « principe des trois profondeurs » de la peinture chinoise, avec un premier plan, un plan intermédiaire, et un plan lointain. Les vides entre plans sont occupés par des plans d’eau, de mousse, ou de sable." (source : wikipedia)
"La dissimulation : Les jardins japonais ne se révèlent jamais complètement à la vue, pour des raisons esthétiques : cacher certains éléments selon le point de vue rend le jardin plus intéressant et le fait paraître plus grand qu’il ne l’est réellement. Le miegakure (見隠, « cacher et révéler ») utilise la végétation, les bâtiments et des éléments de décor comme des lanternes pour cacher ou montrer différentes parties du jardin selon la perspective de l’observateur." (source : wikipedia)
"Le principe d'asymétrie évite qu'un objet ou aspect déséquilibre la composition en paraissant trop dominant par rapport aux autres, et rend celle-ci plus dynamique. Il associe le spectateur à la composition, en incitant à parcourir du regard d'un point intéressant au suivant. (source : wikipedia)
"Les diverses parties du jardin représentent symboliquement des étapes qu’il convient de franchir les unes après les autres et dans un ordre précis pour parvenir, petit à petit, à l’illumination ou, au moins, à la sérénité. On escalade donc une montagne minuscule comme on enjambe une rivière ou qu’on traverse un lac grâce à une pierre plate qui suggère un pont." (source : tao-yin.com)
Fiche 2006/ USA - 1h 41 REALISATEUR Valerie Faris ACTEURS PRINCIPAUX Toni Collette, Greg Kinnear, Steve Carell, Paul Dano, Alan Arkin Oscar du meilleur second rôle masculin, Oscar du meilleur scénario original, César du meilleur film étranger, Grand Prix du Jury au Festival de Dauville
Bande Annonce : Little Miss Sunshine
envoyé par cineFA.
Le Détour dans Little Miss Sunshine
En tant que "Road-Movie", Little Miss Sunshine est essentiellement un film sur le détour ; mais comment celui-ci est-il appréhendé?
- La peur du détour
La première partie du film semblea priori condamner le détour, à travers des personnages qui cherchent à "aller droit au but" : c'est le cas bien sûr du père, Richard Hoover, avec son "Parcours vers le succès en 9 étapes" qui interdit tout détour, mais aussi de son fils, Dwayne, tendu vers le but à atteindre et qui se soumet à une discipline de fer, ou d'Olive, engagée dans un cursus de concours où le détour n'a pas sa place, comme le signifie par exemple le refus d'accepter les retardataires lors de l'épreuve finale ; ce refus du détour peut être symbolisé par les chorégraphies qui occupent une place centrale dans la sélection : par définition, la chorégraphie interdit tout détour, tout pas hors du schéma pré-établi, toute improvisation .
Ainsi, le détour paraît lié à l'échec, aux "losers", dans une société où la compétition, les "winners" constituent une valeur suprême.
Citation : "Il existe deux sortes d'individus: les gagnants et les perdants. A l'intérieur de chacun de vous sans exception, au fond de vous, au coeur, au plus profond de votre être, il y a un vainqueur, un vainqueur qui n'attend que d'être réveillé et laché à l'assaut de l'immensité du monde. Avec mon nouveau programme "Refuser l'échec" en 9 étapes, vous avez désormais les outils nécessaires, la connaissance et le savoir-faire pour mettre vos vieilles habitudes de perdants derrière vous et aller de l'avant pour réaliser vos rêves les plus fous. Finies les hésitations. Finies les jérémiades. Finies les excuses. Soyez les acteurs de ce monde, je veux que vous soyez des gagnants ! Merci."
A l'inverse, le personnage du grand-père est d'emblée lié au détour, qui constitue pour lui un véritable art de vivre (voir son apologie du "détour" sexuel en opposition avec le droit chemin matrimonial).
Cependant, le détour s'immisce dès les premières minutes dans l'intrigue : c'est bien un détour qui constitue l'élément déclencheur positif, celui qui a arrêté le parcours de la candidate que remplacera Olive. Mais cet élément déclencheur devrait également fonctionner comme un signal d'alerte : sera-t-il possible d'éviter les détours et les embûches sur ces voies qu'ils se sont tracées?
- Le triomphe du Détour
En effet, bien des détours attendent les personnages, symbolisés par le trajet erratique de la camionnette : arrêts, poussées, volte-face pour rechercher une Olive malencontrueusement oubliée... le trajet échappe à tout contrôle et cette échappée en roue libre culmine dans la recherche burlesque de la sortie d'autoroute qui conduirait sans détour au but, c'est à dire ici à la porte de l'hôtel.
Peu à peu, ces détours constituent l'essentiel et deviennent des moments précieux ; ils rendent unité et solidarité à la famille éclatée, ils permettent à chacun de se trouver, se retrouver.
A la fin, le détour devient volontaire, affirmation de soi et de liberté contre les schémas imposés par la société ; la chorégraphie et le concours sont détournés tandis que les personnages s'approprient l'espace dont on voulait les exclure... Le détour ouvre l'espace de la contestation, de la liberté, de l'identité mais aussi du plaisir et d'un certain bonheur...
Génération(s) dans Little Miss Sunshine
La question des générations occupe également une place centrale dans Little Miss Sunshine. Trois générations sont ici rassemblées, au sens propre, à l'intérieur d'un espace clos. Les questions de l'adolescence, de la vieillesse et de la mort, de l'enfance, de la maturité sont abordées, mais aussi la question des relations entre les générations, et le problème de la transmission.
- Des relations conflictuelles.
Dans la première partie du film, c'est le conflit qui caractérise les relations inter-générationnelles : conflit entre Richard et son père, et entre Richard et ses enfants, conflit entre Dwayne et l'ensemble des adultes à qui il oppose son silence : "I hate everyone". L'oncle Franck constitue un cas à part, puisque, nous le verrons, son statut d'adulte semble problématique. La mère est elle du côté de l'harmonie, elle est le lien fragile qui cherche à réunir les différents protagonistes.
Peu à peu, les conflits vont se résoudre, en suivant une voie "naturelle", celle des âges de la vie : le grand-père meurt, ce qui permet à Richard de découvrir l'amour qu'il lui portait ; Dwayne grandit et dépasse les caprices de l'adolescence.
- Le "brouillage" des générations. Ce mouvement "naturel" s'oppose au brouillage des générations qui constitue une problématique importante du film. La confusion des générations est un symptôme du dérèglement de la société : plusieurs personnages sont incapables d'assumer leur statut d'adulte, et s'enferment dans le "jeunisme" ; c'est le cas du grand-père, bien sûr, mais aussi de l'oncle qui ressemble à un éternel adolescent, et même du père incapable de remplir véritablement sa fonction de père.
Les enfants, quant à eux, sont privés d'enfance, contraints d'endosser trop tôt un rôle d'adulte : dans les concours, les petites filles sont transformées en femmes fatales et sexualisées d'une manière qui suscite le malaise ; seule Olive conserve sa posture et son corps d'enfant.
Au sein de la famille, l'irresponsabilité des adultes oblige Olive et son frère à assumer des responsabilités qui ne devraient pas être les leurs : c'est Olive qui sort son frère de la crise alors que ses parents demeurent impuissants ; c'est à Dwayne qu'on confie la tâche de veiller sur son oncle, alors qu'enfermer un adolescent en crise et un dépressif suicidaire semble pour le moins irresponsable...
La hiérarchie des générations se rééquilibre à la fin : Olive manifeste son appartenance à l'enfance dans une danse libératrice, les adultes semblent avoir "grandi". De manière très significative, Richard prend les choses en main après la mort de son père, comme si il avait enfin réussi à "tuer le père".
- La question de la transmission. Ce dérèglement des génération(s) (caractéristique de notre société : voir le phénomène de "l'adulescence" et les concours de Mini Miss, qui existent réellement) rend la transmission problématique. Le fil qui conduirait de Richard à ses enfants est rompu, c'est le grand-père qui se charge de la transmission (c'est lui qui prépare Olive au concours, lui qui prend en charge l'éducation sexuelle et sentimentale de Dwayne). Mais un grand-père héroïnomane exclu de sa maison de retraite peut-il constituer un modèle? Peu à peu, au fur et à mesure des détours du voyage, le lien de transmission se reconstruit, en particulier entre Franck et son neveu dans la scène au bord de la plage.
Programme 2009/2010 (Le Détour, Génération-s) : Bulletin officiel n° 16 du 16 avril 2009, Présentation des thèmes, Bibliographie, Filmographie, Discographie, Iconographie, Mots Clefs, etc.