Détours de l'initiation : Le Roman d'apprentissage

Le roman d'apprentissage fait du détour  non seulement le motif essentiel du récit mais aussi son moteur : c'est à travers les détours qu'empruntent la vie et le parcours du personnage que se construit l'intrigue, et que le personnage se construit lui-même.

"Le roman d'apprentissage, ou roman de formation est un genre littéraire romanesque né en Allemagne au XVIIIe siècle (à ne pas confondre avec le roman de jeunesse). On parle aussi de roman initiatique et, par ailleurs, de conte initiatique. En allemand, le roman de formation est nommé Bildungsroman. Ce terme est dû au philologue allemand Johann Carl Simon Morgenstern qui voyait dans le Bildungsroman « l'essence du roman par opposition au récit épique ».
Un roman d'apprentissage a pour thème le cheminement évolutif d'un héros, souvent jeune, jusqu'à ce qu'il atteigne l'idéal de l'homme accompli et cultivé. Le héros découvre en général un domaine particulier dans lequel il fait ses armes. Mais en réalité, c'est une conception de la vie en elle-même qu'il se forge progressivement. En effet, derrière l'apprentissage d'un domaine, le jeune héros découvre les grands événements de l'existence (la mort, l'amour, la haine, l'altérité, pour prendre quelques exemples)." (source : Wikipédia)

Dans le roman d'apprentissage, le détour remplit une fonction initiatique ; le détour est bien entendu ici positif, se perdre permet de se trouver.

Vous avez forcément déjà lu un roman d'apprentissage ; voici quelques indications bibliographiques, qui permettront de nourrir votre "banque d'exemples" pour l'expression personnelle...



Perceval ou le Conte du Graal, Chrétien de Troyes, 1181

Vous trouverez ici une analyse assez complète de la structure de ce récit en tant que "roman d'apprentissage"


Arthur Hacker, The Temptation of Sir Percival, 1894












Ecoutez ici l'incipit...

Un extrait célèbre (III, 6) : 


 Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours, encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit avaient également diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur.
Vers la fin de mars 1867, à la nuit tombante, comme il était seul dans son cabinet, une femme entra.

Bel Ami, Maupassant, 1885


Le parcours d'un séducteur, qui réussira grâce aux femmes...



Marguerite Duras, Un Barrage contre le Pacifique, 1950


 


Ce roman d'inspiration autobiographique se déroule en Indochine dans les années 1930 ; il nous raconte l'émancipation de Suzanne et de son frère Joseph, prisonniers de la folie de leur mère et de la misère, une misère qui amène d'ailleurs la mère et Joseph à tenter de "vendre" Suzanne ; ce mariage d'argent constitue le fil conducteur de l'intrigue. Ce roman peut également s'inscrire dans le thème "Génération(s)".


Le Film a été adapté en 2008 par Rithy Panh :














Marguerite Duras, L'Amant, 1984



En 1984, Duras revient sur les motifs du Barrage de manière plus ouvertement autobiographique

Extraits :


"L'histoire de ma vie n'existe pas. ça n'existe pas. Il n'y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l'on fait croire qu'il y avait quelqu'un, ce n'est pas vrai il n'y avait personne.

Je n'ai jamais écrit, croyant le faire, je n'ai jamais aimé, croyant aimer, je n'ai jamais rien fait qu'attendre devant la porte fermée.

Je me suis dit qu'on écrivait toujours sur le corps mort du monde et, de même, sur le corps mort de l'amour."


"Dans les histoires de mes livres qui se rapportent à mon enfance, je ne sais plus tout à coup ce que j'ai évité de dire, ce que j'ai dit, je crois avoir dit l'amour que l'on portait à notre mère mais je ne sais pas si j'ai dit la haine qu'on lui portait aussi et l'amour qu'on se portait les uns aux autres, et la haine aussi, terrible, dans cette histoire commune de ruine et de mort qui était celle de cette famille dans tous les cas, dans celui de l'amour comme dans celui de la haine et qui échappe encore à tout mon entendement, qui m'est encore inaccessible, cachée au plus profond de ma chair, aveugle comme un nouveau-né au premier jour. Elle est le lieu au seuil de quoi le silence commence. Ce qui s'y passe c'est justement le silence, ce lent travail pour toute ma vie. "

  "L’homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre d’homme et aux chaussures d’or. Il vient vers elle lentement. C’est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas tout d’abord. Tout d’abord  il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Il y a cette différence de race, il n’est pas blanc, il doit la surmonter, c’est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu’elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d’autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille. Alors il a moins peur. Alors il lui dit qu’il croit rêver. Elle ne répond pas. Ce n’est pas la peine qu’elle réponde, que répondrait-elle. Elle attend. Alors il lui demande : mais d’où venez-vous ? Elle dit qu’elle est la fille de l’institutrice de l’école de filles de Sadec. Il réfléchit et puis il dit qu’il a entendu parler de cette dame, sa mère, de son manque de chance avec cette concession  qu’elle aurait achetée au Cambodge, c’est bien ça n’est-ce pas ? Oui c’est ça.
      Il répète que c’est tout à fait extraordinaire de la voir sur ce bac. Si tôt le matin, une jeune fille belle comme elle l’est, vous ne  vous rendez pas compte, c’est très inattendu, une jeune fille blanche dans un car indigène.
      Il lui dit que le chapeau lui va bien, très bien même, que c’est … original… un chapeau d’homme, pourquoi pas ? elle est si jolie, elle peut tout se permettre.
      Elle le regarde. Elle lui demande qui il est. Il lui dit qu’il revient de Paris où il a fait ses études, qu’il habite Sadec lui aussi, justement sur le fleuve, la grande maison bleue avec les grandes terrasses aux balustrades de céramique bleue.
"

Le roman a été adapté par J.J. Annaud en 1992, mais Duras a renié cette adaptation.


Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise, Dai Sijie, 2000




Un joli roman, très accessible, qui raconte le parcours de trois adolescents dans la Chine de Mao et leur émancipation grâce à la lecture de livres interdits.

Le roman a été adapté par l'auteur lui-même en 2002.

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